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Paramashiva

Shiva est la divinité des divinités, l'énonciation par sa Shakti, de son seul nom, dans l'écho fait passer. Il n’est point d’autre à connaître, quand tout a fondu dans le cœur, n’y laissant d'autre résidu que l’infini de son être. Là règne l’union sans pareil, l’identité retrouvée, la perfection et la paix véritable, tout le reste n’est que forfanterie, mascarade et tromperie.

En le sommeil sans rêve, depuis que dure l'éternité de cette nuit, l'être y repose en sa propre perfection, en ce qui se trouve être de plus pur. ParamaShiva est la conscience privée d’attribut, Seigneur du sommeil profond, maître de la nuit en le repos absolu, il est lui-même inanité, sans aucun sens. À ce titre, il est Bhairavà, l’aspect terrifiant qu’engendre le vivant, car il n’est mû, en lui-même, que par sa seule inconscience. ParamaShiva est celui qui ne se connaît pas, privé du devenir, il ne sait rien, n'a pas d'histoire, pas de mémoire. Shiva n’a seulement qu’à être, et pour cause, il est le seul, l’unique, avant toute chose, toujours au départ et à l’arrivée, sa seule qualité, en définitive, c’est d’être là avant et après tout ce qui puisse être.

Un jour, pourtant, dans le huitème quatrain de la grande aventure, sur ce lac sans ride, par pure magie divinatoire, sans cause, ni origine connue, un trouble vient à s'y manifester. Il s'agit dit-on d'Hamsi, l'Oie divine, qui est venue s'y poser, bientôt elle baratte de son bec, l'océan de lait, habile à y extraire le suc de conscience dont elle se délecte. Elle y dessine les premiers remous, procurant spontanément la jouissance de l'être. De ce trouble, dans l'immensité causale, Shiva appert à sa propre réalité, y découvrant à l'instant reconnu, la profondeur et la richesse infinies de son être.

Boum Shankar ! Ayant recouvré sa belle énergie, l'être devient puissance et la puissance est l'être, ces deux aspects formés en Shiva & Shakti, forme et sans forme, sujet et objet, ombre et lumière, soleil et lune, homme et femme, ... ne sont qu' une seule et même réalité, formée en la Science pure du Seigneur (Shuddhavidya). Cette science fait de la seule personne "Je suis Je", un objet aux formes multiples et véritables, "Ceci est Ceci" .

« Bien que reposant en un même substrat, la conscience, Shiva est sur le point d’être scindé et expérimenté séparément. Le sujet et l’objet sont de fait unis, et participent d’une seule et même énergie, d’un ordre supérieur et transcendant, tout acquis au principe de l’être, toute manifestation dérivée d’une même énergie de félicité. »

De par cette félicité, Shiva jouit d’une activité véritable, dite Science pure. Depuis sa conscience immense et indivisible, il se reconnaît alors hautement et très savamment comme puissance de nature métamorphique. Depuis l’infinité de son immense champ de conscience, il expérimente son pouvoir comme activité irrépressible, en la pénétration de ces multiples énergies. En lui-même, il les précipite alors aisément jusqu’à la matérialité de leurs objets respectifs.

La science du Seigneur est d’assumer toutes les diversités et toutes les formes, et plus essentiellement sous forme duelle, en sujets et en objets. Cette science porte à considérer son immense personne, qui, de fait, revêt milles visages et milles formes, richesse inestimable de l'infinie diversité des êtres et de l’univers, véritable miroir qui renvoie à la conscience la sensation d’être douée, conscience en acte en laquelle est ressentie une béatitude infinie.

Par l’aventure de sa propre connaissance, découvrant à l’instant même sa puissance native, la conscience l’oriente aussitôt du point de vue de son ressenti intérieur. Pour ce faire, se découvrant libre et autonome et grâce à son pouvoir d’illusion, la conscience assujettit l’énergie de sa propre prise de conscience à son seul sentiment. Ce double terme n’est valable que pour les besoins de l’explication car en réalité seule la conscience le réalise. Projeté sur la fresque de Mâyâ, Shiva danse (Nataraja), jouant à se perdre pour mieux se retrouver, son jeu devient alors prodigieux, son désir sans mesure, fulgurant de toutes ses énergies, ayant l’intention de tous ses penchants, qui portent sa jouissance à l’infini, il signe sa présence, (Linga), et de la torsion exercée (Vakra) s’écoule une source de plaisir (le Sémen), qui correspond à la consommation (Soma) des états de conscience ou au sacrifice cosmique, l’acte qui ne se distingue pas de lui même.

De ce point de jonction manifesté, Mâyà est le versant extérieur, et le Troisième Œil est le versant intérieur (Virupàksha). Shiva a des yeux monstrueux en raison de son troisième Œil au milieu du front. Cet œil de feu, signe de singularité et de l’incomparabilité primordiale, s’oppose à la vision ordinaire de l’homme égaré dans la dualité.

« Sans Toi, tout l’univers doué d’une vision équilibrée découvre l’objectivité. Par contre, Toi seul, -le Souverain de cet univers– possède une vision impaire. C’est l’Œil spirituel de l’illumination, ouvert par l’Amour et qui figure le Sujet conscient au-delà de la connaissance et du connu, célébré comme l’Œil de feu qui consume la dualité embrasant le cœur d’amour divin, et comme Œil lumineux d’où rayonne amour et félicité, incomparable ambroisie".

L’apanage du Tantrisme et de son système philosophique est d’avoir si magnifiquement mis en exergue le rôle primordial de Mâyà, la magicienne. Elle est à la fois celle qui crée le décorum du monde manifesté et celle qui met en scène tous les personnages et tous les rôles. Le Tantrika parvenu à l’illumination ne rejette pas Mâyà, au contraire, il s’en extasie et s’en émerveille tant il reconnaît combien est difficile ce qu’elle accomplit. Son œuvre est immense, sa magie sans égale et infiniment prodigieuse.

Mâyà fait apparaître la modalité objective comme étant différente de la modalité subjective, elle donne ainsi à croire que l’objet perçu est différent et distinct de celui qui le perçoit, alors qu’il s’agit d’une seule et même essence. Pour ceux et celles qui se laissent prendre à ses filets, elle ne fait connaître que la dualité, source de toutes les souffrances et de tous les maux.

La nature de cette dualité, n'est qu'illusion car elle agit comme un reflet dans un miroir. Pour pouvoir appréhender ce reflet, il ne faut pas chercher ce miroir comme étant extérieur ou chercher à l’objectiver de quelque manière que ce soit. Ce miroir restera à jamais invisible et inconnu à l’entendement ordinaire, et de plus, son reflet est d’une nature spéciale, tout intérieur. Il faut donc chercher en soi, et trouver les correspondances dans le fonctionnement inconscient de l’être, dans sa nature essentielle, inhérente, c’est là seulement que se justifie de manière magnifique la théorie du reflet.

La théorie du reflet provient du jeu de la forme et du sans forme, autrement dit du jeu de Shakti et de Shiva. Shakti, dans cette théorie, représente toutes les formes observables, Shiva représentant bien sûr le pur miroir sans tache, véritablement sans forme, immuable et inaltérable. Le reflet constitue leur union qui permet de ressentir à eux deux tout ce qui s’y manifeste.

Ordinairement, le reflet n’apparaît pas. L’individu reste plutôt en prise directe avec la réalité objective, et en perçoit uniquement l’aspect toujours changeant. Cette réalité semble occuper à chaque temps imparti tout le champ de l’espace observable. Les objets qui se présentent et toute l’activité qui s’y rattache accaparent tous les sens et toute l’attention. De fait, l’individu est obnubilé par ce spectacle, et se retrouve directement sous influence. Les pensées et les préoccupations se succèdent à un tel rythme que l’agent actif n’a aucune espèce de liberté quant à y reconsidérer sa condition et son propre devenir.

Et pourtant les sages qui ont pu traverser le miroir et en revenir, nous ont tous rapporté l’image de ce reflet, et la nature illusoire de cette prise directe avec la réalité objective. En effet, tout le monde phénoménal est présenté en vérité comme devant un miroir, et c’est bien comme des reflets qui s’y manifestent, et qui forment à chaque instant notre réalité. Ce miroir est bien sûr invisible, il est transcendant, et ne peut être conçu, objectivé par la pensée car à ce moment là, il faudrait à nouveau un principe transcendant pour le refléter à son tour.

De plus, le reflet qui s’y manifeste est comme une mise en abîme car il se réfléchit simultanément aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le son, par exemple, se réfléchit intérieurement dans le sens de l’ouïe, à travers l’organe de perception de l’oreille, et extérieurement dans l’éther, à travers l’organe d’action de la parole. Cela provient de ce que le miroir est d’une nature très spéciale, il est fait de conscience et ses propriétés lui octroient ce pouvoir inqualifiable de refléter à l’extérieur ce qui ne peut être qu’à l’intérieur.

Si l’on observe une fleur par exemple, on doit voir ce qui est d’abord touché de l’intérieur, par l’archétype propre de la fleur, et qui s’exprime alors en correspondance par l’extérieur. Cet exemple n’est pas pris au hasard, car chacun peut apprécier, par la magie de cette création, et qui est le cœur ou le jeu de la conscience et de l’énergie, ce qui en émane, comme expression de parfum subtil, de couleur, et de beauté. Mais en prenant aussi la perspective du temps, il faut également considérer le déroulement de cette expression de Soi, comme activité rythmée par les saisons, soit la forme éphémère qui retourne bientôt dans le champ de ce qui est sans forme. Il faut ainsi y voir l’énergie qui émane, fait persister, et se résorbe, pleinement satisfaite, pour certainement mieux recommencer encore et encore.

Voilà quelle est la nature véritable de ce reflet : Il opère en la conscience et par la magie de cette pulsation, vient à y manifester à l’extérieur ce qui est contenu à l’intérieur, soit la manifestation de l’être universel.

De plus, en la seule conscience, ce reflet agit de manière inversée. En effet, il fait apparaître en premier aux sens ce qui, dans l’ordre de la création, vient en fait en dernier. C’est ainsi que le miroir demeure invisible, car ce qui y apparaît de plus tangible, de plus immédiat, est le fruit de ce qui, en dernier ressort, est le plus élaboré, le plus abouti. La nature du reflet fait apparaître au premier plan les objets les plus concrets, alors même qu’ils sont l’effet de la représentation ultime du pouvoir de la conscience. C’est ainsi que l’on peut dire que ce qui est principe omniscient et premier devient principe inopérant et dernier.

Enfin pour être exhaustif, il faut rappeler ici l’image traditionnelle de la lune qui se reflète dans l’eau troublée, en mille et une lunes toujours changeantes, et qui, lorsque l’eau devient calme pour former ce pur miroir, peut s’admirer alors comme n’étant qu’une. Cette image reprend ainsi l’effort de toute pratique qui doit se vouer à la fin à un non-effort, au seul lâcher prise, afin de pacifier et de rendre pur ou nettoyer de toutes impuretés le mental qui, à se moment là, s’illumine, car il est le seul apte à faire apparaître ce pur miroir de la conscience.

La conscience peut ainsi être vue comme pure lumière engendrant le clair et l’obscur. Elle est d’une nature emplie d’énergie capable alors de se métamorphoser de façon inexprimable en se précipitant elle-même de manière différenciée, faisant par-là même apparaître, comme dans un jeu d’ombres et de lumières, toutes les catégories de la matière. Pourtant dans ce jeu, jamais elle ne perd sa propriété fondamentale, qui est de savoir être, et d’en être affectée.

La profondeur de l'être est insondable (Shiva), elle est infinie, l'énergie contenue en son sein, n'est que prise de conscience de soi, pure affectivité, et qui a tout pouvoir sur son coeur (Shakti), l’avancée dans ce monde de connaissance à Soi est pure magie, et forme la science du devenir, cela n’a absolument aucune limite ( Svara ) si ce n’est celle de l’ardeur amoureuse.

Tout ce qui existe et désire exister en ce monde est motivé par une seule et même énergie, la plus haute que rien ne peut enfreindre et à laquelle nul n’est soustrait : il s’agit de la sensation de Soi comme étant celle d’une condition sans limite, véritablement infinie, que seul le sacrifice immédiat à l’instant exigé de toutes les autres, comble incessamment en un perpétuel flot sans fin. Voilà quelle est la science pure, qu’on le ressente par soi-même ….

Le yogi voit le Soi comme un sujet ayant pure dépendance envers lui-même. Il possède le champ immense de toutes ses intentions qui, aussitôt entrevues, se manifestent spontanément par son activité. Car en l’infinitude de celui qui possède l’attribut de la conscience vogue une libre énergie qui, à perdre haleine, parcourt ce vide, et de par-là même y manifeste des tracés de lumière. (Khéchari). De cette activité la conscience en reçoit magnificence et gloire, se mirant, s’émancipant et s’épanouissant de manière fulgurante. Le suprême aboutît à la connaissance de lui-même, dans ses aspects variés, allant des plus denses aux plus subtils et dans ses projections mêmes, contenant le passé, le présent et le futur. Ce «Jeu» produit en lui l’écoulement d’un nectar d’ambroisie qui porte sa jouissance à l’infini et qui enivre à satiété la conscience d’un «Je » universel. En ce lac s’épand la conscience indifférenciée. Être, conscience et béatitude absolue

S’il y a un lien c’est celui que manifeste le Seigneur du reflet tout intérieur de Sa volonté dans Sa propre liberté (Bhairavi et Bhairavà Mudrà). De tous les temps, les voyants louent l’Unique y empruntant son véhicule ( Kundalini Shakti ), qui s’élance vers le ciel, et y emportent les chants qui forment alors son chœur, à jamais unis à Lui.

Seule en dernier ressort, l'union à l'énergie importe, car la conscience en retire pure affectivité, et à chaque changement d’état dans la roue du devenir, correspond chez le sujet une sensation d’affection pure. Cette conscience de se savoir affecté provoque l’écoulement d’un nectar d’immortalité, qui perle en un fluide séminal, véritable ambroisie céleste (Amrita). Rien ni personne ne peut contrecarrer cette aventure amoureuse et cela est l’apport fondamental de la vue tantrique.