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Tantra et Vie dans le Monde
20/01/2020

De l’inefficience des théories matérialistes

En philosophie, le matérialisme est la doctrine selon laquelle il n'existe d'autre substance que la matière (terre, eau, feu et air). Cārvāka le penseur indien, prônait déjà le matérialisme au IV siècle avant notre ère. Selon son système de pensée connu également sous le nom de Lokāyata, le monde (loka) est la seule chose qui existe véritablement. Il s'agit d'une philosophie matérialiste, sceptique, athée et hédoniste qui refuse les doctrines traditionnelles (comme celles de la réincarnation, des Vedas, des rituels etc…). Cette philosophie moniste admet uniquement la perception, c’est-à-dire ce qui est tangible et mesurable, comme seul moyen de connaissance.

Comme on peut le soupçonner, il existe des problèmes avec la théorie matérialiste. Pour commencer, si la conscience est un sous-produit de la matière, comment cela est-il établi ?

Le moi ou la conscience n'est pas perçu à travers la perception des sens, il semble donc que son existence est déduite d'autres faits. Cependant, les matérialistes nient le raisonnement par inférences en tant que moyen de connaissance valide. De même, si la conscience n’est pas vécue sans un corps matériel, cela ne veut pas dire qu’elle est un sous-produit de la matière.

Si la Conscience est une propriété du corps, il ne pourrait y avoir de conscience du corps, car la conscience ne peut être une propriété de cela dont on est conscient. En d’autres termes, dans toute expérience, le sujet voyant ne peut être confondu avec l’objet perçu, il ne peut être réduit à l’objet ou à sa propriété. En effet en cas de confusion entre objet connu et sujet connaissant, il n’y a aucune connaissance distincte possible car tout est justement confondu en une unité imperceptible et indivisible.

Dans l’explication matérialiste du monde, on ne comprend pas bien comment nous pouvons communiquer entre nous avec des références communes sur des concepts tel que l’amour, la justice, la générosité... et de tous les sentiments qui animent l’être et plus généralement de tous les aspects immatériels de l’être. Nous trouvons ces références communes dans une dimension subtile qui ne peut être partagée matériellement et physiquement mais plutôt partagée par une intelligence impersonnelle plus vaste – la Conscience.

De la même manière nous voyons bien que les hommes et les femmes ont tous des caractères extrêmement différents. Il existe en eux des déterminants subtils qui procurent des systèmes de valeur différents ainsi que des orientations de vie différentes. Réduire ainsi la réalité humaine à une relation de cause à effet matérialiste et biologique est impossible et ne peut expliquer la diversité des comportements et des prédilections chez l’être humain. Les différences de caractère et d’orientation des enfants au sein d’une même famille s’expliquent par l’héritage de géniteurs subtils ayant vécus dans des vies antérieures différentes. Certains enfants se rappellent très bien de souvenirs de leur vie antérieure. À ce propos, le bouddhisme tibétain sait très bien reconnaître, chez un enfant, l’âme d’un sage réincarné (Rinpoché) par des souvenirs et témoignages de sa vie passée.

Enfin nous devons rendre compte de véritables expériences chez certains hommes, femmes, enfants, ou encore médiums, qui ont été en contact avec des êtres éthérés, sages, dieux, déesses ou encore fantômes et autres entités non matérielles. Ces apparitions et phénomènes prouvent que l’existence ne dépend pas de la matière grossière mais provient bien d’une énergie subtile émanant depuis un vaste champ de conscience.

 

De la déficience des théories Bouddhistes

A l’inverse des thèses matérialistes se trouvent des philosophies qui nient la réalité objective de la matière.

- Śūnyatā (la vacuité) signifie qu'aucune chose n'a d'existence propre, les phénomènes semblent exister uniquement par interdépendance. (le chaud par rapport au froid …)

- Anātman (absence de soi, impersonnalité) : il n'y a rien dans le monde qui ait une existence indépendante et réelle en soi, donc aucune âme (ātman), aucun soi, mais une simple agrégation de phénomènes conditionnés.

- Anitya (impermanence) : tout est constamment changeant dans les phénomènes, on ne peut absolument rien y trouver de permanent.

- Duḥkha (souffrance) : aucun phénomène ne peut nous satisfaire de manière ultime et définitive.

De ce point de vue la réalité phénoménale est identique à un rêve. Le Soi n’existe pas, il n’y a pas d’individualité, il n’existe qu’une impermanence des phénomènes apparaissant dans une claire lumière. Sur le plan de la vérité absolue le Bouddhisme professe la vacuité, (śūnyatā), sur le plan de la vérité relative, il déclare que tous les phénomènes sont illusoires.

Cependant le bouddhisme admet le cycle de la naissance et de la mort, comme étant le Samsara et donc de la réincarnation infinie dans la roue du devenir. Par contre on ne comprend pas bien ce qui peut transmigrer en l’absence de monade individuelle ou de Soi.

D’un point de vue historique, il est reporté que le Bouddha lui-même n’ait pas nié systématiquement le Soi, il lui semblait plus simple de nier toute réalité individuelle pour combattre le conditionnement de l’ego chez ses contemporains. (Jeter le bébé avec l’eau du bain)

De plus, il existe dans le Bouddhisme différents courants, les uns sont purement athées et d’autres adorant des divinités.

Nāgārjuna fonde la voie du milieu Madhyamaka IIem siècle Post JC

Cittamātra, rien qu'esprit, est l'une des écoles du bouddhisme Mahāyāna, encore nommée Vijñānavāda, elle apparaît au IVeme siècle.

Le Bouddhisme tantrique tibétain réintègre l’existence d’une hiérarchie céleste.

Il n’y a donc pas un bouddhisme mais bien plusieurs bouddhismes…

 

De l’absolutisme du Vedanta

Vedanta signifie fin ou aboutissement des Vedas. Sa branche philosophique la plus brillante et la plus connue est l’advaïta vedanta ou philosophie de la non-dualité. Son principe fondamental affirme la non différenciation de l'individualité ou l'âme individuelle (jīvātman) et de l’âme universelle ou seule Réalité appelée Brahman.

Le Brahman est la cause du monde. On dit de lui qu'il est la connaissance la plus pure et qu'il resplendit comme une source de lumière infinie. En dehors du Brahman, rien d'autre, y compris Dieu, l'univers, les objets matériels et les individus, n'est vrai.

La Māyā est ce pouvoir illusoire et mystérieux du Brahman qui a pour conséquence de le rendre comme perceptible dans le monde matériel distinct. Māyā a deux fonctions principales : la première est de devoir cacher le Brahman aux esprits humains, et l'autre est de devoir présenter le monde matériel comme réel. La Māyā est indescriptible, elle est ni complètement réelle ni complètement fausse, donc ineffable. Sous l'influence de Māyā, Brahman est perceptible comme étant Īśvara, présent à travers l’usage des sens et de l’expérience du monde.

Le Seigneur Suprême (Īśvara) est vrai seulement dans le niveau pragmatique, sa véritable forme dans la sphère transcendantale est l'Esprit Cosmique (Brahman). Quand le reflet de l’Ātman tombe sur Avidyā (l'ignorance), l'Ātman devient jīva — un être vivant, avec un corps et des sens. Chaque jīva se sent comme s'il avait son propre Ātman, unique et distinct, appelé jīvātman, "âme individuelle". Le concept de jīva est vrai seulement au niveau pragmatique. Au niveau transcendantal, seul l'unique Ātman, égal à Brahman, est vrai.

Le monde est ainsi identique à un rêve et à proprement parler, il n’a pas de réalité intrinsèque, Il est le « reflet » de l'Esprit Cosmique sur le miroir de la Māyā. Il est dit que le Brahman vient se refléter dans l’âme individuelle incarnée qui est prise dans les filets de la Mâya,

Cependant on ne comprend pas bien, quelle est la nature de Māyā, elle reste incompréhensible et mystérieuse. Il est également contradictoire que le Brahman puisse se refléter dans la Māyā alors qu’il lui est un principe transcendant et supérieur. Enfin prôner l’irréalité du monde, ne permet pas de faire disparaitre la douleur ni la souffrance du corps dans le devenir humain.

 

Du dualisme du Samkhya

Le Samkhya semble être l’un des systèmes philosophiques les plus anciens de l'Inde. Il signifie énumération ou dénombrement des principes créateurs du monde (tattva). Il établit 25 principes élémentaires avec à leur source, deux principes élémentaires la Personne individuelle et la Nature naturante.

Le Samkhya classe ainsi la réalité en 25 catégories. Le 25ème est Puruṣa, il est la personne indestructible qui n'est pas sujette au changement. Les 24 autres proviennent toutes de Prakṛti ou la Nature et sont sujets à la modification et au changement.

Le caractère le plus remarquable du Samkhya est qu'il établit ainsi un système pluraliste qui peut se ramener plus simplement à un système dualiste. D'une part, on trouve une nature unique qui tantôt se déploie dans la multiplicité de la manifestation et tantôt se résorbe exactement dans l'ordre inverse de son apparition. D’autre part résident une multitude d'esprits qui, dans leur essence sont en fait identiques. Cette essence n'est jamais affectée par le changement et garde toujours une liberté parfaite et sans attache.

Le premier principe est l'esprit, le plan, Puruṣa. Ce principe est vu comme masculin, le sujet de la représentation, l'individualité. Le deuxième principe est l'énergie, la réalisatrice Prakṛti. Ce principe est vu comme féminin, auto-engendré et sans cause.

Il est important de s'attarder sur ce dualisme élémentaire, car il est le sens profond de l'explication théorique du Samkhya. La nature primordiale en perpétuel mouvement recommence toujours à se déployer parce que l'ordre du monde n'est pas seulement naturel mais intelligent. L'énergie libre et spontanée agit pour que les esprits puissent réaliser leur autonomie et qu'enfin l'esprit individuel se libère des attaches de l'apparence et obtienne la libération dans la prise de conscience de Soi.

La conclusion du Samkhya, acceptée comme prémisse par le yoga et par tous les autres courants spirituels de l’hindouisme, est que la cause de la souffrance et de la misère de l’être humain est l’ignorance (avidyā) de sa propre nature faite Conscience du spectateur. La cause première provient du reflet du Puruṣa sur Prakṛti en son aspect sattvique de Buddhi. Le Puruṣa, par cette chute apparente dans la Prakṛti, est induit à adopter la notion de l’ego, principe d’individualité et de séparation de la Prakṛti. L’assertion du moi ainsi délimité engendre son identification aux facultés mentales et le pousse à se considérer comme un sujet agissant dans le monde qui l’entoure. Ce monde est perçu comme étant extérieur à lui-même, pourvu d’objets qu’il convient de s’approprier, éprouvant ainsi la sensation de gains ou de pertes.

À ce stade le Puruṣa est obnubilé par le spectacle, il en devient captif, soumis entièrement aux aléas de son environnement. Il devient le Jivatman « âme vivante » ou soi individuel. Sa conscience étant associée aux fonctions psychiques il s’engage totalement dans l’expérience des sensations charnelles. A cause de cette identification, il subit toutes les souffrances de l’existence incarnée ainsi que l’épreuve des expériences variées qui s’y rattache.

Pour ce libérer l’adepte doit admettre les principes du Samkhya et pratiquer le yoga pour faire émerger en lui-même sa nature essentielle faite Conscience et réaliser qu’elle est, depuis toujours, affranchie des conditionnements de la Nature.

Le yoga-samkhya de Patanjali cherche ainsi à se réfugier dans une sorte de citadelle ou tour d’Ivoire, dans laquelle le yogi ne se trouve plus affecté ni par les changements extérieurs ni par les tourments de son esprit. Le but du yoga-samkhya est principalement la maîtrise des sens et du mental par l’asséchement des désirs et des attaches envers le monde.

Dans cette philosophie, l’on ne comprend pas bien l’interaction véritable entre le Puruṣa et la Prakṛti. Alors même qu’ils sont présentés comme deux principes distincts et autonomes, ils se trouvent toujours associés et reliés l’un à l’autre. De plus il existe une contradiction dans le rôle de Buddhi qui est produit par la Prakṛti alors même qu’il est l’instrument de la libération.

On ne comprend pas bien comment le Puruṣa peut se refléter dans la Buddhi alors qu’il lui est un principe transcendant et séparé.

 

Le Tantra réintègre le Monde

Le Tantra est auto-révélé. Le Tantra est un système basé sur la Grâce. La Grâce est à la fois la cause, le moyen et le but de ce qu’il convient de connaître ; car l’être est gracieux en son essence et le révéler ne lui coute qu’une infime tendance à la résorption et qui pour finir, se produira, non par la perte de Soi mais bien par le repos en Soi.

Le Tantra réintègre le monde dans la Conscience Divine. Le Monde, l’univers est bien réel, il est le corps d’Īśvara, le Souverain. Il est le corps du Seigneur tout puissant, son expression manifeste. La perception du monde est engendrée par le jeu de miroir de Shiva et Shakti : les phénomènes extérieurs possèdent tous un pendant intérieur, ils sont produits par le reflet intérieur de Shiva sur Lui-même et par le reflet extérieur de la Shakti sur Elle-même. De par cette double réflexion, l’objet perçu n’est pas différent du sujet qui le perçoit.

Exemple le Soleil : L’être possède un désir ardent à l‘intérieur de lui-même, dans l’aventure de sa propre connaissance, il désire passionnément se mirer à ses propres yeux. Il fait naître le Soleil qui éclaire le monde, il exprime ainsi la forme qui est en Lui à travers la diversité des paysages terrestres. Cela est proprement subjuguant et exprime l’ardeur et la passion de l’Être envers Lui-même.

La Nature de la Conscience est de « se savoir Être », sa principale propriété, cause première de toute la manifestation, est de se réfléchir sur elle-même (pratibimbadava) . Le monde sensible est ainsi le dictionnaire amoureux de Shiva-Shakti, appelée science pure ou véritable śuddhavidyā. À chaque état intérieur correspond un phénomène extérieur, mais en réalité, il ne s’agit que de la prise de conscience de l’être envers Lui-même. Cela est la vérité auto-révélée du Tantra.

De par ce reflet, tout provient de Soi, tout se manifeste en Soi et tout retourne à Soi. Le monde sensible est notre propre corps, notre propre connaissance, l’expression de notre être. À chaque changement d’état dans notre environnement immédiat correspond un toucher intérieur qui nous donne la sensation de notre propre réalité, de notre propre Nature.

C’est ainsi que lorsque nous mangeons, nous avons le gout de nous-même, lorsque nous voyons un coucher de soleil, nous réalisons la beauté et la vastitude de notre être, lorsque nous entendons le bruissement du vent dans les feuilles, nous avons la sensation de l’espace intérieur qui nous habite et qui est notre propre nature et il en va ainsi de tous les sens et de tous les touchers. Nous nous connaissons à travers les autres, et à travers le monde.

L’observation de la voute céleste et des étoiles, à travers les télescopes les plus puissants et celui-là même comme Hubble installé dans l’espace, n’a jamais pu donner une limite objective à ce monde. C’est tout simplement parce que l’Univers est le reflet de notre être intérieur. Ce reflet est produit par l’énergie de la prise de conscience, la connaissance de l’être envers Lui-même, soit l’Amour de Shiva et Shakti. Combien mesure l’Amour Cosmique, quelle est sa dimension, quelle est sa masse ? Ces questions ne peuvent s’appliquer à la subjectivité de l’Être.

Le Samsara est identique au Nirvana, en vérité il n’y a qu’une seule personne, qu’un seul être, qu’un seul Soi. C’est pourquoi nous nous sentons paradoxalement toujours seul dans la multitude, car en vérité il n’y a qu’une seule conscience, qu’un seul Être, qu’un seul Soi. Le monde est le corps d’Īśvara, notre corps est de même nature que le monde. Il est créé, préservé et détruit par la Shakti de Shiva.

À ce titre le monde est bien réel, car il est fait d’énergie et de vibration.

 

Māyā le pouvoir d’illusion

Le monde apparaît comme étant séparé de soi et des êtres, comme étant multiple et différencié. Cela est dû au pouvoir d’illusion de la Māyā. Mais contrairement au Vedanta, la Conscience ne se reflète pas dans la Māyā. Au contraire, la Māyā émane de la conscience, elle représente la volonté de l’Être de se cacher à lui-même et de s’oublier pour faire naître la sensation d’une vie aventureuse pleine de dangers, de promesses, de pertes et de gains.

Par l’aventure de sa propre connaissance, découvrant à l’instant même sa puissance native, la conscience l’oriente aussitôt du point de vue de son ressenti intérieur. Pour ce faire, se découvrant libre et autonome et grâce à son pouvoir d’illusion, elle assujettit l’énergie de sa propre prise de conscience à son seul sentiment. Ce double terme n’est valable que pour les besoins de l’explication car en réalité seule la conscience le réalise.

Māyā est ainsi le pouvoir qui va façonner l’état brut du joyau de la conscience en un spectacle éblouissant, seul capable d’y refléter son ressenti intérieur, seul apte à éprouver ce qu’elle ressent intensément en elle : Cela je le suis, Je suis cela, Je suis, « Je ».

Māyā va ainsi faire apparaître de l’informe la forme désirée, d’autant plus facilement qu’elle se trouve au départ et à l’arrivée de la sensation. À travers la combinaison des qualités de son énergie, elle va recréer la réalité, la reformuler et ce, différemment selon les espèces. Telle condensation sera recouverte de telle inertie et prendra telle sorte d’activité en dépendance d’autres condensations et d’autres inerties... La conscience participe à un jeu d’ombres et de lumières.

Le spectacle toujours renouvelé que l’homme perçoit sous la forme des êtres et de l’univers est un montage illusoire de Māyā qui dessine, avec le pinceau des qualités de l’énergie sur la toile de la conscience. Cette proposition ne veut pas dire que le monde est irréel, il est simplement factice car représenté en des formes et des sensations particulières qui ne valent plus lorsque l’on saute d’une espèce à une autre, d’un monde à un autre. En ce sens, la représentation de la réalité n’est qu’une apparence formelle, volatile et passagère, destinée à une connaissance et une action particulière. C’est ainsi qu’il ne faut pas confondre une donnée purement énergétique et vibratoire avec sa représentation formelle et particulière. Nous dirons donc que la réalité existe bien en tant qu’énergie vibratoire mais illusoire en tant que représentation formelle.

Mais ceci n’est pas suffisant, Māyā y ajoute l’œuvre du Seigneur en sa vie véritable qui est l’aventure amoureuse ou le devenir cosmique. La conscience, à ce moment-là, se contracte, s’exacerbe et se saisit elle-même si puissamment, avec un tel élan, qu’elle prend les formes d’un conditionnement limité, engendrant devenir et souffrance. C’est ainsi que l’individu se perçoit non seulement de manière fragmentée, parcellaire, s’identifiant complètement à son corps et à ses objets de possession, mais c’est également à cause de Māyā que les individus entrent en devenir limité.

Māyā devient alors l’inspiration divine du Seigneur, l’expression de son coeur, l’aventure de sa propre existence. N’ayant au départ que l’énergie de sa seule prise de conscience (Śakti), en lui-même il l’éprouve (Śiva) de manière tangible et véritable en s’inventant des épreuves qui le conditionne et le limite jusqu’à arriver à ce point où il devient un être asservi et ignorant (paśu). À ce niveau, le créateur devient victime de son oeuvre, il en pâtit et en ressent pleinement tous les effets, par là même il s’oublie, et joue le drame de la perte de sa toute puissance et de sa liberté native. Il est comme ce Roi tout puissant qui, secrètement, s’engage comme simple soldat dans sa propre armée pour mieux apprécier sa grandeur et en vérifier toute sa puissance. Enrôlé par sa propre volonté, il est à ce point contraint et conditionné, fou de sa propre aventure qu’il en oublie sa condition de Majesté et de Roi, allant au bout de son initiative jusqu’à jouer son rôle de simple soldat au plus bas de l’échelle.

L’individu perd alors l’intuition de sa souveraineté et se voile d’ignorance. À ce niveau de la conscience, l’individu se considère en situation de devenir, livré à lui-même, il appréhende sa vie comme pleine d’incertitudes et de risques. Cette fonction divine est très importante car elle donne une valeur prééminente à la vie de l’individu, quel qu’en soit le devenir, c’est à dire en situation de se sentir être, comme étant le seul sujet digne d’intérêt véritable, d’être bien la seule réalité patente, d’être bien devenu comme le prisonnier de lui-même.

Ce jeu amène alors l’individu à ressentir un manque de complétude, ce manque tient à la constitution de l’ego et ce dernier, par les nœuds qu’il ne cesse de resserrer sur lui-même, tient également à ce manque. L’individu ne perçoit plus directement l’unicité de la réalité et la majesté de sa condition. Au contraire, il la perçoit de manière détournée, prenant la réalité comme autant de supports formels et son attachement à ses formes comme autant de sentiments particuliers à leurs égards. L’individu asservi n’est autre que sa Majesté prise dans le jeu de sa toute puissance et de sa propre liberté, il s’attache à lui-même d’une manière formelle et particulière, n’hésitant pas, sous l’emprise de l’ignorance et l’ivresse engendrée, à poursuivre les désirs les plus fous et les plus absurdes. Pourtant, il est remarquable de noter qu’au bout de cette aventure, la conscience est à la fois celle qui détient (le sujet) et celle qui est détenue (l’objet), l’effet engendré retourne au centre de la conscience, en son cœur d’où elle se mire comme dans un reflet, toute émerveillée d’une telle connaissance.

Lorsque le Sujet, par sa seule prise de conscience et l’énergie qui en émane devient son propre Objet, il s’exerce une activité objective et formelle relative à un état d’être subjectif et absolu, il y a bien ainsi acte de conscience ou conscience en acte et cela est ressenti comme suprême activité.

Ceci est le coeur du Tantra, l’individu limité et conditionné est le cœur du Tantra, l’individu asservi par les mécanismes des lois de la Nature est le cœur du Tantra. En toute stupéfaction et grande lucidité, faisant ainsi coïncider Shakti et Shiva en lui-même, le tantrika reçoit alors en son cœur une énergie si haute et si dévorante d'Amour, qu'il atteint à la réussite et comprend sans détour la conviction profonde du Maître de l'Énergie. L'Être se dévore Lui-même et par ce seul acte de Gloire, accomplit le sacrifice de la Vie. Tout ce qui existe et désire exister en ce monde est motivé par une seule et même énergie, la plus haute que rien ne peut enfreindre et à laquelle nul n’est soustrait, il s’agit de la sensation de Soi comme étant celle d’une condition sans limite, véritablement infinie, que seul le sacrifice immédiat à l’instant exigé de toutes les autres, comble incessamment en un perpétuel flot sans fin.

De cette énergie naît le sentiment le plus essentiel de toute la création, de la manifestation des 118 mondes, de tous les multivers, qui s’étagent dans la hiérarchie céleste depuis les mondes infernaux (naraka) jusqu’aux paradis célestes (svarga), ce qui est plus précieux que le précieux, au-dessus de tout, au-delà de ce qui est suprême, il s’agit du sentiment de l’Être : « Cela je le suis, Je suis Cela, Je suis Je »

La réalité est ainsi contenu dans ce reflet « Je suis Je », et qui y a-t-il dans ce « je » ?

Je est identique à la Conscience Divine, Paramashiva, Nirguna Brahman, Maha Bindu.

Du plus profond que le profond, selon le don au noir parfait, de l’ombre jaillit la lumière et ce qui est en bas est en haut. Om Hamsa Shiva Soham Svaha

 

Yoga et Bhoga

Comment réconcilier la pratique d’un yoga authentique et le plaisir des sens ?

Pour ce faire, il faut revenir au Désir premier : nier son efficience, nier son évidence revient à nier la vie même. En effet, sans désir, il n'y a plus rien. Aucune ambition, aucune aventure, aucun amour, aucune procréation, aucun enfantement n’est possible.

La Conscience qui nous occupe n'est pas une impermanence, ou flux ininterrompu d’enchainements karmiques, elle ne peut être réduite à une simple Vacuité. (Bouddhisme)

Elle n’est pas duelle opposant une multitude d’esprits isolés et la nature qui les environne.(Samkhya)

Elle n’est pas une illusion, un simple rêve, une évanescence sans aucune consistance. Elle n'est pas un Absolu pénétré d'une claire lumière, détaché des phénomènes, immuable, statique et comme inerte. (Vedanta)

La Conscience n'est pas détachée de l'activité, du mouvement et de la vibration. Elle se trouve emplie de désirs en la nature d’une conscience en Acte. Elle se trouve affectée par sa propre liberté et ne cesse de jouer avec son énergie qui lui révèle sa propre personne. La Conscience n'exclut pas l'activité, la connaissance et le désir. Au contraire cette triade s’exprime par le symbole du Trident de Shiva. La pointe la plus haute de ce trident se trouve être le désir même. (icchā) Le Désir nommé aussi Volonté Autonome du Seigneur se trouve être la clé de voûte du système énergétique et plus généralement de la voie Shivaïte.

Dans cette voie, il s’agit plutôt de reconnaître quel est le sens donné à ce désir, quelle est sa motivation première, son essence. Pour ce faire, il convient de purifier les désirs en canalisant cette belle énergie au centre de nous-même. Il faut, dit-on, ôter les objets matériels auxquels le désir se rattache pour n’en retenir que la vibration pure. Il faut remonter le flot des sensations par lequel l’énergie s’écoule, il faut retrouver la source pour se baigner enfin dans ce grand lac de pure intériorité.

Par la pratique combinée des postures (āsana), du contrôle du souffle (prānayāmā), des gestes (mudrā), de la concentration (dharana) et du retrait des sens (pratihara), il s’agit de faire naître une nouvelle sensation : celle d'être au centre de soi-même. Il convient de raviver le souffle du Milieu par le conduit subtil de la colonne vertébrale. (sushumna). Dans cette verticalité, prédomine une puissante énergie lumineuse et apaisée (sattva). En cet axe, ascèse spirituelle (yoga) et plaisir sensoriel (bhoga) ne s'opposent plus. Ce qui est en haut est identique à ce qui est en bas. Le pur esprit et sa puissance de réalisation se rejoignent en une seule et même réflexion : Je suis Je, le désir du Soi. Dans l'instant présent, en soi comme en tout l’univers, cette expression possède une saveur sans égale : Maha Rasa la Grande Saveur, celle de la pure beauté, de la parfaite harmonie et de la jouissance radieuse. Il existe bel et bien un cellier où résident mille jarres et auxquelles personne ne boit. Elles contiennent pourtant bien l’Amrita, l’ambroisie divine, le nectar d’immortalité, le Saint Graal. Rares sont celles et ceux qui ont accès à cette boisson miraculeuse. Cet écoulement provenant de la fontanelle est dit-on identique au fluide lunaire qui rafraichit le feu de la Kundalini dans le canal central. La sensation se produit lorsque l’individu est en connexion directe avec la Conscience Divine, il éprouve l’absolue certitude de la présence ineffable du divin, en Soi comme en tout l’Univers. La colonne vertébrale devient alors ce lien entre le Ciel et la Terre, l’épreuve de la vie divine, ici-bas comme en haut. Le destin devient un acte de sacrifice entièrement voué à Son Adoration, le monde, le spectacle glorieux de Sa Majesté, la Grâce du Seigneur tout Puissant.

Conscience, être et béatitude. (Sat cit Ananda)

 

Paramashiva

Svatantrya est la libre énergie du Seigneur, qui assume tous les devenirs, et toutes les existences. Elle est l’infinie variété des penchants pour les formes prises par l’énergie, qui lui est inséparable et qui lui révèle sa propre personne. Cette liberté suscite l’oubli ou la perte de la seule sensation de soi comme étant le tout. Cet oubli est lui-même comblé dans une nouvelle connaissance, celle qui se trouve être dans sa parfaite identité à l’énergie. Possédant cette infinie liberté, et de par l’énergie de sa propre prise de conscience, il jouit de sa personne comme il l’entend, s’inventant pour sensation la forme et le devenir.

Il engendre alors la manifestation sous formes de sujets et d’objets comme dépourvus de véritable connaissance. Dans le devenir de cette divine liberté, les êtres pâtissant de cette volonté maintiennent fermement à leur insu la séparation du sujet et de l’objet. De cette épreuve en sa seule intimité, le Maître se mire à satiété, dans le miroir formé par son cœur.

Seul le Yogi parvenu à la Science pure sait maintenir unis le sujet et l’objet : remontant à sa source, il produit alors dans son corps des émanations de beauté et d’extase. Il s’agit de l’union du Linga représentant l’aspect statique de l’éternel Shiva, et de la Yoni ou la matrice qui l’enserre ou la Roue des énergies, représentant l’aspect dynamique. De cette union la conscience s’applique essentiellement à se glorifier tout en dévorant le temps.

Dans le Tantrisme, ce qui est attachement devient libérateur, le Tantrika retire l’objet en devenir des énergies de création, pour en retrouver le goût original de la beauté, du plaisir et du sacré. Reconnaissant en lui ses énergies cognitives et sensibles comme autant d’appuis, il s’élance vers l’invisible avec le cœur pour cible, il voit le véritable enjeu de son existence comme étant la reconquête de la totalité de son être, pour participer à son tour et de manière spontanée à la présence du Maître à qui il offre le fruit de tous ses actes.

Le Yogi découvre l’implantation étrangère, de la forme de son corps à la forme de ses pensées jusqu’à la forme de ses tendances les plus enfouies. Cette forme lui est étrange non seulement parce qu’il la reconnaît comme libre et autonome, mais aussi car elle lui apparaît anecdotique et passagère.

Il se dégage enfin de l’erreur qui consiste à identifier les états psycho-mentaux produits par les actions passées et à venir comme étant sa véritable conscience. Supprimant la confusion ontologique du Moi et du Soi, il regagne l’unité perdue. Reconnaissant en lui, ce qui est impersonnel, immuable, et voyant l’univers comme la pure dépendance du Sujet à l’égard de lui-même, il atteint la cessation des activités mentales, et s’identifie alors au Tout.

Paramashiva est la Conscience Divine dans laquelle se résolvent tous les paradoxes :

  • De l’obscurité, jaillit la lumière !
  • Du vide nait la plénitude !
  • Du rien s’exprime le Tout !
  • De l’immobilité cause du mouvement !
  • Du l’unité dans le multiple !

La résolution de la dualité se produit lorsque l’adepte ressent que son Être est vide, la substance de l’être étant effectivement Vide.

  • La nature de l’être est de savoir Être,
  • La nature de l’être est Soi-même, le Soi,
  • La nature du Soi est faite Conscience
  • La nature de la conscience est Vide.
  • Le reflet de l’être sur Lui-même fulgure ainsi dans le Vide.

 

De fait l’expression de l’Être (bindu), par la pile cosmique de l’énergie (visarga), créé une mesure entre le plus et le moins, le chaud et le froid, le masculin et le féminin, … de sorte que la somme de tout ce qui est produit reste toujours nulle.

N’existe en réalité que la prise de conscience de l’Être envers lui-même, et cet Être est essentiellement Vide, il a forme du sentiment de l’existence en l’expression de Soi « Je ». Lorsque le Yogi a la sensation de n’être posé plus nulle part, c’est que son corps est devenu le tout, il ne lui reste plus alors qu’à reposer dans le vide, il réside au centre de la roue des énergies, qui sans cesse le glorifie. S’étant reconnu comme étant le Soi universel, il n’a aucune cause, aucune action, aucune possession, aucun but et pourtant c’est bien de Lui que proviennent tous les effets et toutes les manifestations. En ce lieu si propice, il est permis de jouer en toute liberté, d’y prendre toutes les attitudes afin d’y révéler spontanément sa propre nature. C’est bien à Lui qu’appartient en toute connaissance de ceindre sur sa tête la couronne de sa propre Souveraineté.

 

Michel Chauvet
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Commentaires :
02/03/16   sandra
18/10/12   Eco du Tam Tam
19/03/08   Michel
19/03/08   Michel
07/05/07   Christian
13/04/07   Christian