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La SHIVA SAMHITÂ

Traduction Jean Papin

 

Introduction

 

La Śiva saṃhitā est considérée comme un des textes traditionnels importants du hatha yoga.

A notre connaissance, aucune traduction française n'avait, à ce jour, fait l'objet d'une édition publique. Il fallait donc la réaliser pour combler le vide en ce domaine.

 

Ce traité n'est pas daté, mais il est probable qu'il soit antérieur à des textes similaires, tels la Gheranda saṃhitā, la Hatha yoga pradīpikā ou la Gorakṣa saṃhitā. En outre, son auteur est inconnu. Mais cet anonymat demeure très courant en Inde. Les auteurs ne revendiquent pas la paternité de leurs œuvres, destinées avant tout à l'édification des humains. De telle sorte qu'il apparaît habituel de considérer ce genre de livre comme des "révélations" accordées aux dévots par leur entité divine de prédilection. Dans ce domaine, Śiva a toujours été jugé et décrit comme le "suprême yogin".

 

Certaines versions de la Śiva saṃhitā ajoutent donc, en exergue, les deux stances suivantes :

"Maintenant, Śiva, pourvoyeur de délivrance à l'égard de tous les êtres vivants, va exposer la discipline du yoga à l'intention de ses dévots. A ceux qui se complaisent dans les vaines controverses résultant d'une connaissance erronée, il indiquera les moyens efficaces pour retrouver la véritable Connaissance et obtenir la concentration mentale."

 

Datant de 3000 av.-J.C, un sceau fut découvert à Mohenjodaro, dans le Sind (actuel Pakistan). Il représentait Śiva, assis en padmāsana avec un cobra au-dessus de lui. Mais cela ne constitue pas une preuve suffisante de l'ancienneté de cette discipline yoguique concernant le corps et l'esprit, car, en aucun cas, les Védas ne la mentionnent. Il semble qu'un apport chamanique, très marqué, soit à l'origine du shivaïsme. Il proviendrait du nord et du centre de l'Asie ; si bien qu'il est permis de douter que l'Inde soit le pays natal du yoga...

 

En réalité, historiquement, le yoga fait son apparition dans les textes entre le 2e et le 3e siècle et est associé étroitement à la doctrine dualiste du samkhyâ. Il en constitue même l'aspect pratique. C'est à cette époque que l'on découvre Patanjali, l'auteur des célèbres Yoga sûtra, ouvrage incontesté de référence du yoga aux huits membres (aṣṭaṅgayoga), conjugant hatha et râja yoga, c'est-à-dire une discipline ascétique conduisant à la maîtrise du physique et du mental.

 

On désigne parfois le hatha yoga (hatha signifie d'abord : violence et urgence) comme kriyā yoga (kriyâ signifiant : activité et sacrifice). Les autres yoga (mantra, karma, bhakti, jñāna et laya yoga) sont alors considérés comme des disciplines et des pratiques complémentaires.

 

Pour les ascètes qui s'y adonnent, ce yoga est le meilleur, le plus immédiatement efficace, car il permet de reconstruire le corps et peut assurer l'immunité, la victoire sur la maladie et la décrépitude. Tous les exercices qu'il propose auront donc pour objet la santé et la libération de la mort. Mais cela impose une pratique redoutable et permanente. Et, comme l'affirmait E. Kant : "Toutes les libérations ne sont pas des délivrances" !

 

Ensuite, doté d'un corps devenu pratiquement immortel, le yogin pourra se consacrer à la maîtrise du mental. A cette fin, il s'exercera alors au contrôle du souffle vital (prāna) afin de le transmuer en pure intelligence. Fidèle à son dieu et à l'enseignement de son guru, il obtiendra le pouvoir de manier les forces psychiques, ce qui, en principe, lui permettra l'éveil et la montée de l'énergie, sommeillant en chacun de nous, la suprême déesse kuṇḍalinī, clef du succès dans le yoga !

 

Poursuivant sa quête, il lui sera alors possible d'accéder à la concentration, à la méditation et enfin à l'expérience de la transcendance dans le samâdhi. Tel se présente le parcours idéal du yogin pratiquant cette discipline, définit selon le même schéma par Patanjali et appelée aussi ghatasṭhayoga, (littéralement le pot de terre) le yoga du corps.

 

 

Chapitre I

 

[1] Il n'existe qu'une seule connaissance (jñāna), celle qui perdure de toute éternité, sans commencement ni fin. C'est l'unique vérité (satya). Rien n'y échappe. Nos sens et la perception qu'ils nous proposent (indriyā) sont le miroir de cette connaissance. Rien d'autre !

 

[2-3] Sous l'aspect d’Īśvara (la déité personnelle), Siva qui offre à tous les êtres vivants la délivrance finale des conditionnements (mukti) propose à ses adorateurs la discipline du yoga. Ainsi, abandonnant les voies de ceux qui s'égarent sur les chemins de la connaissance erronée, ces adeptes pourront acquérir la véritable connaissance de Soi, ātma-jñāna (1) et la conscience intériorisée (ceta).

 

Note : ātma-jñāna, la connaissance de l’ātman, c.à.d. la persistance de la Conscience universelle en chacun de nous, aussi bien dans l’état de veille, de rêve, de sommeil profond et jusque dans la mort. Ne jamais traduire cela par « âme », tant il est chargé de préjugés d’approximations et d’idées reçues semant la confusion.

 

[4] Certains privilégient la pratique de la vérité (satya). D'autres se réclament de l'ascèse (tapas) et de la purification (śauca). D'autres encore insistent sur l'indulgence (kṣamā), l'équanimité (sama) ou l'honnêteté (ārjava).

 

[5] Quelques-uns optent pour le don (dāna), d'autres pour les oblations aux Mânes (pitṛkarman), d'autres encore pour l'action (karma) et certains pratiquent plus volontiers le renoncement aux choses de ce monde (vairāgya).

 

[6] Certains considèrent la voie d'une vie de famille exemplaire (grihasṭa karma) comme la meilleure, alors que d'autres prétendent que les rituels du feu (agni-hotra) les surpassent, etc..

De même, certains vous diront que rien n'égale le mantra yoga, alors que d'autres estiment que la fréquentation des lieux saints (tīrtha) est la voie supérieure.

 

[7] Ces affirmations si différentes montrent que les chemins pour atteindre la libération des conditionnements (mukti) sont très nombreux.

 

[8] Bien que, dans ce monde, les hommes soient tiraillés entre le bien et le mal et, sans même se livrer à de mauvaises actions, ils naviguent cependant dans la confusion.

[9] Ceux qui empruntent de tels chemins accumulent les effets des actes, bons ou mauvais, et s'égarent à jamais dans le cycle des naissances et des morts.

 

[10] Par contre, les gens avisés et sereins, dont le raisonnement reste lucide et délié, décrivent le Soi (ātman) comme infini, éternel et omni pénétrant.

 

[11] Tout ce qui « apparaît » possède une existence. Ce qui n'apparaît pas n'existe pas. Par exemple, où sont les demeures célestes ? Telles se présentent les opinions personnelles de nombreuses personnes.

 

[12] D'autres pensent qu'il faut s'en tenir à la Connaissance Rayonnante ou encore au vide (śunya) ou au néant. Et enfin, d'aucuns affirment qu'il ne peut s'agir que d'une dualité insurmontable entre Prakṛti et Puruṣa.

 

[13] Les opinions de ceux que la Réalité n'intéresse pas vraiment sont diverses et souvent totalement différentes. Il en va de même pour ceux qui ont accumulé tout ce qu'ils ont entendu dire de vive voix ou lu dans les livres.

 

[14] Ils disent que la déité personnelle (Īśvara) n'existe pas. Alors que d'autres, dans leur fougue de connaître la véritable réponse, balayent les contradictions et déclarent en toute logique : il existe.

 

Note : Īśvara est aussi un des noms de Śiva comme déité personnelle et potentialité causale mais non impliquée dans l’activité cosmique. Dans une acception moins religieuse, Īśvara représente le bindu, la semence et le point ultime entre le différencié et le non-différencié.

 

[15] Ces derniers et de nombreux sages confirment, en accord avec les écritures (śastra), que la cause de la confusion humaine se situe dans les interprétations et les controverses issues du mental.

 

[16] Il est impossible de décrire l'ensemble des opinions. Tous ces personnages errent dans l'incurable. Ils s'égarent hors de la voie de la libération (mukti-marga).

 

[17] Après consultation de tous les traités (śastra) et une constante méditation sur leur contenu, il devient vite évident que les meilleures voies sont celles proposées par les textes concernant le yoga (yoga śastra).

 

[18] Grâce à eux on obtient la connaissance de tous les autres. Alors, à quoi bon s'échiner et chercher ailleurs ?

 

[19] Ce texte de yoga, tel que je le donne (moi Śiva) est très secret (gopya). Il ne doit être révélé, dans les trois mondes (triloka), qu'aux plus grands et aux plus respectueux connaisseurs du Soi (mahātma).

 

[20] Maintenant, disons qu'il existe deux options : celle de l'action (karma kāṇda) et celle de la connaissance (jñāna kāṇda). Mais, il se trouve que l'action peut très bien être accomplie en même temps que la Connaissance. Donc, la voie comporte deux aspects.

 

[21] Quant au déroulement et au contrôle de l'action, ils se divisent également en deux parties.

[22] S'adonner à des œuvres scélérates est un péché. Mais agir dans la droiture, en pratiquant des œuvres pies, devient positif.

 

[23] Les actions se présentent sous trois formes : les ordinaires, celles qui sont voulues et celles que l'on a préméditées. Les premières n'entraînent aucune faute ; mais les deux dernières, qui sont préméditées, ont des conséquences.

 

[24] Le résultat de ces deux dernières se présente aussi de deux manières : dans cette vie et dans l'au-delà. Dans la sphère céleste (svarga) les fruits sont variés et dans les mondes infernaux (naraka) ils le sont également.

 

[25] Les œuvres pies mènent aux demeures célestes, les impies aux mondes infernaux. Cela est certain, il n'y a aucune autre issue.

 

[26] Dans les demeures célestes les êtres ont certes l'expérience de certaines malveillances, mais ils jouissent surtout de grandes joies. Dans le monde des enfers ils souffrent et subissent d'insupportables douleurs.

 

[27] La souffrance est le fruit des actions mauvaises et le bonheur le résultat des actes vertueux. Donc, celui qui aspire à la félicité suprême se doit d'accomplir exclusivement des actions bénéfiques.

 

[28] Après expiation des fautes commises, de nombreuses réincarnations seront nécessaires. Il est indubitable qu'il en va autrement lorsque l'on pratique les vertus.

 

[29] Ainsi, convoiter la femme d'autrui, et malgré une vie vertueuse, apporte des conséquences fâcheuses dans le monde céleste. De tels agissements dans la vie ici-bas deviennent donc systématiquement des causes de malheur.

 

[30] Selon les rites établis par les sages, le karma se présente sous deux formes : l'une heureuse, l'autre désastreuse. Au fil du temps, les êtres acquièrent un destin déterminé par leurs vices ou leurs vertus.

 

[31] Ceux qui renoncent aux fruits des actes peuvent se débarrasser de leur karma dès cette vie même. Renonçant à tout attachement provoqué par leurs actions ordinaires ou personnelles, ils se consacrent au yoga.

 

[32] Ayant saisi le caractère aléatoire de la voie karmique ( karma kāṇda), le sage yogin l'abandonne et choisit celle de la Connaissance (jñāna kāṇda), en délaissant vice et vertu.

 

[33] Le Soi (ātman) peut être réalisé dès cette vie, les écritures (śruti) l'affirment. Cette connaissance doit être entretenue comme le signe et l'espoir de la libération des contingences de la dualité (mukti).

 

[34] Ce qui dirige les tendances mentales vers les vices ou les vertus n'a d'autre origine que ce « je suis » (c'est-à-dire Moi Śiva, « je suis » : so'ham). L'univers entier, en expansion ou non manifesté est né de ce  "je suis" ; il s'y reflète et s'y confond. Rien n'existe en dehors de Moi. Aucune séparation !

 

 

[35] Quand le soleil se reflète dans plusieurs écuelles emplies d'eau, on pourrait croire qu'il se démultiplie alors qu'il reste unique et que le caractère des écuelles ne change pas. Avec l’ātman il en va de même.

 

[36] Dans le rêve, on peut voir une chose prendre différentes formes et, au réveil, on retrouve son aspect ordinaire et inchangé. Semblablement, le monde apparaît multiple et foisonnant aux êtres noyés dans l'illusion.

 

Note : Nous ne reviendrons pas sur les commentaires concernant la réalité ou l’irréalité du monde « des apparences », sur l’illusion ou la confusion, sur les interprétations de māyā, ni sur les querelles d’école entre le Vedanta, le Sâmkhya ou le Trika.

 

[37] Comme une corde peut revêtir l'aspect d'un serpent ou une perle celui d'un morceau d'argent, le suprême ātman se travestit dans la multiplicité des phénomènes.

 

[38] De même qu'une discrimination aiguisée dissipe l'illusion du serpent, la connaissance du Soi (ātman jñāna)  élimine l'apparence mensongère du monde phénoménal (mithya bhūta).

 

[39] De la même manière que disparaît l'illusion de l'argent à propos de la perle, l'univers des formes disparaît aussi dès l'instant où la prise de conscience de l’ātman est réalisée.

 

[40] Ainsi, lorsque que l'on instille un collyre dans les yeux, la vue se trouble et une simple tige de bambou peut être prise pour un serpent. Tel se présente l'univers à travers le collyre de l'imagination trompeuse (bhrānti)

 

[4l] Quand disparaît l'illusion du serpent on s'aperçoit de la mystification. Tous les mirages s'évanouissent avec la connaissance soudaine de l’ātman. Mais, à cause de l'ignorance, cette perception ininterrompue de la Conscience (ātman) se dissipe au contact du monde des phénomènes à l'instar d'une pathologie affligeant un malade atteint de jaunisse et qui voit tout en jaune.

 

[42] Exactement comme l'excès de bile est éliminé chez le patient qui recouvre alors la santé, on constate un processus similaire au sujet de l’ātman quand l'ignorance est effacée et que s'établit la sublime connaissance du Soi.

 

[43] La corde ne peut jamais devenir réellement un serpent, ni dans le présent, le passé ou le futur. Pareillement, l’ātman exempt de tout attribut et de qualités (guna) ne peut, en aucun cas, prendre l'aspect d'un phénomène, car il est pur (de toute dualité).

 

[44] Sans la réalisation du Soi, même les déités n'ont pas d'existence. Il s'agit alors d'une simple affaire de naissances, de morts et, en somme, d'impermanence. C'est la conclusion évidente des écritures (śastra).

 

[45] L'écume et les bulles sur l'océan sont évanescentes. De même, le monde phénoménal apparaît transitoire quand on connaît l’ātman.

 

[46] L'insécable (abheda) brille dans toute sa splendeur et l'on peut contempler cette totalité indivise. Mais si on le voit double, triple ou multiple, il s'agit d'une fiction (bhrama).

[47] Tout ce qui se passe maintenant et tout ce qui adviendra dans le futur, tout ce qui prend forme ou reste informel, la totalité de cet univers est imprégnée de la Suprême Conscience du Soi (param).

 

[48] Le monde qui se déploie sous nos yeux est imaginaire, un leurre, une création fausse qui nous laisse paralysé comme en état d'hypnose. Sur un tel constat, comment pourrait-on accorder la moindre vérité à l'idée d'un avenir du monde ?

 

[49] Tous les êtres vivants et les choses inanimées sont nés de mirages hors de la conscience du dedans (cetana). Donc, c'est par le détachement à l'égard de ces illusions que l'on obtiendra la véritable prise de conscience.

 

[50] L'espace est à la fois dans la cruche et au-dehors. De même, à l'évidence, l'ātman imprègne tout, à l'intérieur et à l'extérieur.

 

[51] L'espace vide et vibrant (cidākāśa) ne doit pas être relié faussement aux cinq éléments primordiaux. De façon similaire, l'ātman reste indépendant de toute action. Il ne peut en être autrement.

 

[52] Dans ce monde, tout est d'abord imprégné de l'être suprême (Īśvara, c'est-à-dire Śiva). C'est l'Un (eka), Existence - Connaissance - Béatitude (sat cit ānanda)", sans dualité aucune (pūrnādvaita). La perfection.

 

[53] Ce qui ne reçoit pas de lumière extérieure brille de sa luminosité propre. Né de sa lumière consciente (svaprakāsa), l'ātman rayonne et se manifeste sous forme d'une grande clarté (jyotiṣ).

 

[54] Apparaissant comme indivisible dans l'espace-temps, cet ātman conserve son « état naturel » de toute éternité, sans modification.

 

[55] Ce qui ne subit aucune dégradation au sein même du monde phénoménal où les cinq éléments fondamentaux (pañca bhūta) se transforment, c'est bien le Soi, l'ātman ! Il est éternel et ne connaîtra jamais d'existence déterminée (na bhava).

 

[56] Même si rien ne venait à l'existence, l'ātman demeure, toujours. Et quand les choses dévient où se dégradent, l'ātman et lui seul rétablit la vérité (satya).

 

[57] Dans ce monde d'ignorance (avidya) et de grande détresse (dukha), privé de la Connaissance, le bonheur, n'advient que si l'affliction disparaît. l'ātman, lui, n'est que joie permanente (sukha).

 

[58] Lorsque la connaissance disperse l'ignorance et qu'elle efface la cause de la différenciation, \ l'ātman devient lui-même la Toute Connaissance qui est infinie.

 

[59] L'univers est un, mais dans le temps qui court, il apparaît comme différencié. De même, l'ātman se dévoile comme l'Un quand on se fixe dans la paix et qu'on rejette les mirages de l'imagination.

 

 

[60] La perfection n'atteint ni le ciel, ni l'air, ni le feu, ni l'eau ni la terre, pas plus que leur mode d'activité. Même les divinités sont imparfaites. Seul l'ātman remplit les conditions de la perfection. Il n'y a aucun doute.

 

[6l] Toutes les choses vues de l'extérieur sont impermanentes et subissent l'outrage du temps. Mais l'ātman est sans dualité, au-delà des mots (yatovāc).

 

[62] Sans désir, délaissant le monde illusoire des phénomènes aléatoires, le yogin perçoit son propre Soi comme étant l'ātman même.

 

[63] Ayant réalisé que son Moi profond était l'ātman, l'éternel bonheur, il demeure fermement établi dans la transe du samādhi, retiré du monde.

 

Note : Nous voyons bien ici que la voie proposée est celle de la désolidarisation  d’avec le monde sensible tel que le préconise l’advaita vedānta illusionniste, alors que le tantrisme Trika ou Spanda dédaigne cette attitude « défaitiste » et ascétique, hautaine et sans saveur. A contrario le tantrisme l’unification du manifesté et du non-manifesté de la transcendance et de l’immanence dans une réalisation spontanée (sahaja). Ainsi les dégustateurs de nectar  (rasika) pourront jouir de la grande saveur de la Conscience (māharasa) et saisir la vie unifiée.

 

[64] Les leurres de māyā sont à l'origine des phénomènes. C'est la stricte vérité. Quand cette illusion s'évanouit, le monde phénoménal cesse d'exister.

 

Note : Le mot māyā supporte d’être traduit par « illusion », mais les vedantins assimilent cette illusion à un rêve, une irréalité. Pour les tantriques, māyā śakti est une puissance de mesure, de délimitation et de différenciation. Force d’émanation elle fait apparaître la dualité et la notion de causalité. Les Tantra, plus justement, la désignent comme confusion (moha) interprétation fallacieuse ou travestissement de la réalité. Les différences conceptuelles orientent donc les voies d’accès à la libération des contingences de la dualité (mokṣa) sur des directions, des attitudes, des disciplines mais aussi des altitudes souvent fort dissemblables.

 

[65] Tout ce qui dépend de maya doit être rejeté. Donc, les choses agréables comme les richesses ou ce qui flatte les sens ne peuvent engendrer un véritable bonheur.

 

[66-67] Le monde possède trois modes de fonctionnement : dans l'adversité, la fraternité ou l'indifférence. Les relations sont ainsi. Il n'existe pas d'autre procédure. Les choses sont telles : agréables ou désagréables selon le contenu psychique et l'histoire personnelle de chaque individu. Dans sa descendance l'histoire se répète, même pour son propre fils.

 

[68] En accord avec les enseignements des textes (śruti), quand il prend conscience de l'illusion du monde provoquée par māyā, le yogin se débarrasse de ces oripeaux fallacieux.

 

[69] Quand s'impose le triomphateur (l'ātman) de l'impermanence de la nature, on réalise que l'univers des phénomènes n'est que le produit des actes (du karman). C'est alors que brille la claire et pure lumière de la Connaissance (jñāna rūpi), sans fard (niraṇjana).

 

[70] Par son désir, la personne humaine (puruṣa) crée ses propres enchaînements mentaux. Quand domine l'ignorance (avidya), l'erreur s'incruste.

[71] Le pur Soi, le Brahman sans attributs (śuddha brahman) est toujours synonyme de connaissance. Si cette conscience persiste, le brahman se définit comme étant le vide (nabhas).

 

[72] De cet espace vide, et en se combinant, naissent les éléments fondamentaux, l'air, le feu, l'eau et enfin la terre. Inactifs, ils reposent, enracinés dans l'imaginaire.

 

[73] De l'espace vide et vibrant (ākāśa) naît l'air (vāyu), de l'espace vide et de l'air associés provient le feu (agni) ; puis la combinaison du vide, de l'air et du feu donne naissance à l'eau (jala = ap) ; enfin la terre (mahī  = pṛthivī) naît des quatre éléments précédents.

 

[74] Le principe du son (śabda) est relié à l'espace vibrant. Celui du toucher (sparśa) à l'air ; celui de la couleur et de la forme (rūpa) au feu ; celui de la saveur (rasa) à l'eau, et celui de l'odeur (gandha) à la terre. Il en est toujours ainsi ; cela est immuable.

 

[75] Les écritures (śastra) ont parfaitement défini les caractéristiques des trois qualités, ou fonctions de la manifestation (guna) et de leurs effets.

 

[76] L'espace vide possède une seule des qualités (le son). L'air en possède deux (son et toucher) ; le feu, trois (son, toucher et forme) ; l'eau, quatre (son, toucher, forme et saveur) ; la terre, cinq (son, toucher, forme, saveur et odeur).

 

[77] C'est ainsi que les sages ont défini le monde des cinq éléments primordiaux avec leurs qualités respectives.

 

[78-79] La forme est perçue par l'œil, l'odeur par le nez, la saveur par la langue, le contact et le toucher par la peau et le son par l'oreille. Cela est indubitable. Il ne peut en être autrement.

 

[80] Tout ce qui se meut et ce qui reste immobile ont pour origine la Toute Conscience (caitanya). Quand on conçoit ce monde comme réel, il existe. Si on ne le perçoit pas ainsi, il ne subsiste qu'une pure connaissance indifférenciée.

 

[81] Quand la terre se dissout dans l'eau, l'eau dans le feu, le feu dans l'air et l'air dans le vide, alors l'espace entier se retire dans la suprême Conscience (parama).

 

[82] La grande illusion (mahāmāyā) a tous les pouvoirs : différenciation, énergie fabuleuse, beauté trompeuse. Elle développe également les trois fonctions de la manifestation, actives dans la dualité (les guna), c'est-à-dire clarté et neutralité (sattva = neutron-air), dynamisme et agitation (rajas = électron-plasma ionise-feu), torpeur, inertie et masse (tamas = proton-eau).

 

[83] Lorsqu'elle agit avec force (śakti) et savoir (vijñāna), la magie de māyā fait apparaître naturellement le monde des phénomènes.

 

[84-85-86] La connaissance existentielle (vidyā) qui possède la plus forte inertie (tamas), prend la forme de Durgā "La dangereuse", alors que ce qui émane de la Toute Conscience (caitanya) est le suprême Īśvara. La connaissance existentielle dégradée où domine le dynamisme (rajas), donne forme à Sarasvatî, déesse de l'éloquence et des arts ; c'est la puissance mentale créée par Brahmâ, l'Être suprême. Enfin, quand prédomine la clarté (sattva), apparaît Lakṣmī, la "Beauté", douée de tous les attributs de la pleine Conscience de son époux, Viṣṇu.

 

[87] Śiva, le premier, et toutes les autres déités sont contenus dans le Soi suprême (paramātman). Les objets matériels, tel le corps physique, en découlent, suivant le processus de la connaissance existentielle (vidyā) et de sa dégradation.

 

[88] Les "voyants" ont ainsi saisi l'ordonnancement de l'univers. Selon l'acuité de la vision intérieure, on pourra donc distinguer un ordre "explicite" ou un ordre "implicite" (tattva-atattva).

 

Note : Tattva : ordre déroulé des catégories de la manifestation, c-à-d le monde déplié, visible et en expansion. Atattva : ordre enroulé ou caché et replié dans une conscience non manifestée.

 

[89-90] Les objets visibles ne le deviennent que lorsqu'ils sont nommés. Donc, rien dans ce monde n'a de réelle existence. Seul le suprême (param) peut y prétendre, car c'est lui qui illumine l'objectivité. Les objets formels se caractérisent par notre pouvoir de les imaginer et les mots que nous leur avons assignés pour en faire des entités particulières.

 

[91] Celui qui a réalisé que là Toute Conscience était son unique patrie, essence même du bonheur et omni pénétrante, celui-là est libéré, dès cette vie, des affres de la tristesse et du cycle des naissances et des morts (samsara).

 

[92] Ce qui organise et dissout chaque chose n'est autre que l'Un. Il convient d'en faire une certitude de pensée.

 

[93] Le corps physique ne provient pas d'un élément ou d'une cellule de son géniteur ; être l'héritier d'un beau corps ou de l'affliction dépend des antécédents du passé (du karman).

 

[94] Fait de chair, d'os, de nerfs, de moelle, etc, et de veines, le corps n'est construit que pour expérimenter la douleur.

 

[95] Le Suprême a conçu ce corps en dehors des cinq éléments primordiaux et comme un modèle universel. Il est venu à l'existence pour qu'en lui soient expérimentées les peines et les joies.

 

[96] L'être physique acquiert la sensation et la conscience de lui-même lorsque se combinent le sperme et l'ovule, représentant l'union de Śiva et de Śakti.

 

[97] Tous les objets matériels de l'univers obéissent à la loi des cinq déterminations (contraction, expansion, attraction, répulsion, mouvement). Dans cette contingence, les êtres vivants évoluent selon leur propre karman.

 

[98] Tous les êtres considérés comme des "créatures", sont le produit de ces cinq déterminations et n'ont pour seul objet que l'expérimentation de cette Réalité (faite de plaisirs et de douleurs). Les événements viennent de Moi et sont accompagnés de leur karman antérieur.

 

[99] Le Soi anime toutes les expériences des vivants en pénétrant dans leurs corps physiques. Assujettis à leur karman individuel, les êtres (jīva), plongés dans la torpeur (jada), prennent alors différentes formes.

 

[100] Cette expérience se produit ainsi parce que le karman se développe dans "l'œuf de Brahmâ", la matrice de l'univers (brahmānda). Quand ces fruits karmiques disparaissent, un autre karman se fait jour et l'individu (jīva) cesse d'exister (pour entrer dans l'Être).

 

 

Chapitre II

 

[l] Dans le corps réside le mont Meru, entouré de sept continents, de lacs, d'océans, de collines, de plaines avec leurs déités tutélaires (kṣetrapālaka).

 

[2] Les Rishi y demeurent, les ascètes, les astres, les lieux sacrés, les temples et leurs divinités.

 

[3] Dans ce corps errent la lune et le fils du soleil (bhāskara), cause de l'accomplissement et de la destruction. Les cinq éléments, espace, air, feu, eau et terre suivent une voie semblable.

 

[4] Dans le corps même se retrouvent tous les êtres vivants qui peuplent les trois mondes (ciel, terre et enfers). Ils constituent la colonne du mont Meru (la colonne vertébrale) et restent diligents dans le mode d'activité qui leur est propre (vyavahāra).

 

[5] Celui qui sait tout cela est indubitablement un yogin.

 

[6] Le corps est construit à l'image de l'univers (brahmānda). Chaque chose est à sa place. Au sommet du mont Meru (de la conne vertébrale) réside la lune, illuminant de ses seize énergies (kalā).

 

Note : Kalā désigne le premier des cinq pouvoirs de relation présidant à la manifestation (Kañcuka). Il s’agit de la succession, pouvoir déterminé des seize énergies artisanes et fragmentatrices de l’objectivité (prameya). Leur effet est l’expansion de la Nature visible ou invisible, la prakṛti. Il correspond aussi aux seize portions du cycle lunaire.

 

[7] Sans cesse la lune rayonne et déverse sa pluie de nectar, lequel se transforme et prend une nature subtile.

 

[8] Une partie du rayonnement lunaire transite par le canal à gauche de la colonne vertébrale appelé idā, telles les eaux de la Mandākini (le bras supérieur du Gange). C'est par cette voie qu'il nourrit la totalité du corps.

 

[9] Ce nectar (pīyūṣa) s'écoule du côté gauche, vers le bas. Au centre de l'épine dorsale, la colonne du Meru, une autre énergie s'élève, pure, couleur de lait et contenant toutes les joies. La lune est reliée à elle pour que s'épanouisse la manifestation.

 

[10] Le soleil avec ses douze attributs (c.à.d les douze signes annuels du zodiaque) se situe à la racine du Meru (merumūla, la base vertébrale). Il s'agit de Prajapati, le seigneur des créatures. Ses rayons jaillissent par le canal de droite (piṅgalā).

 

[11] A l'instar du soleil dont le rayonnement envahit l'espace, ce nectar se répand dans le corps et produit les sept constituants corporels, les dhātu (chyle, sang, chair, graisse, os, moelle et sperme).

[12] Telle est la forme symbolique du soleil transposée dans le psychisme et qui réside sur le côté droit du corps. Cela signifie "émanation" (sṛṣti) et "résorption" (saṃhāra) de l'univers. Nous pouvons l'éprouver dans le corps quand le temps est venu.

 

[13] Dans le corps humain, il existe trois nāḍī qui sont des lignes de circulation de l'énergie et 350 000 autres, moins importantes. Mais quatorze d'entre elles ont un grand intérêt.

 

[14-15] Voici leurs noms.- suṣumnā, idā, piṅgalā, gāndhārī, hastijihvikā, kuhū, sarasvatī, pūṣā, śankhinī, payasvinī, vāruṇi, alambuṣā, viśvodarī, yaśasvinī. Parmi elles, seules trois sont essentielles : piṅgalā, idā et suṣumnā.

 

Note : Cette anatomie psychique et cette psychologie subtile ont été souvent mentionnées dans les textes indiens et largement commentées en Inde comme en Occident par des auteurs plus ou moins inspirés. Ce sujet, croustillant, puisqu’il renferme un fond d’ésotérisme qui excite au plus haut point les amateurs d’obscurantisme, continue d’être exploité par beaucoup d’enseignants de yoga pour satisfaire les espoirs de leurs élèves avides de secrets hermétiques. Leur connaissance est entièrement livresque et n’a aucune incidence pratique : c’est une fameuse escroquerie livrée à un public de gogos extasiés, un discours de perroquet bavard.

 

[16] De ces trois, suṣumnā est prépondérante dans la pratique du yoga. Les deux autres tiennent cependant une place de toute importance dans le corps.

 

[17] Ces trois lignes d'énergie (nāḍī) partent de la racine et sont fines comme des fibres de lotus. Elles descendent le long du dos et représentent la lune (soma), le soleil (sūrya) et le feu (agni).

 

[18] Celle du milieu, nāḍī citrā (c.à.d suṣumnā) présente le plus grand intérêt. C'est la subtilité des subtilités qui traverse la fente du principe suprême, le brahmarandhra.

 

[19] La suṣumnā est dotée des cinq couleurs de l'arc-en-ciel. Elle est lumineuse et pure et constitue la "voie du milieu". De par sa position centrale, elle assure et soutient la vie.

 

[20] Telle est la voie divine (divyamārga) et de la félicité (ānanda). En méditant sur elle, le roi des yogin peut détruire tous les malheurs et toutes les pesanteurs.

 

[2l]. Le support de base de la suṣumnā se situe à deux aṅgula (soit 3,74 cm, un aṅgula = 1,87 cm) au-dessus de l'anus, à un demi aṅgula (0,94 cm) du membre viril et à quatre aṅgula (soit 7,58 cm) du centre-racine (ādhāra c.à.d. mūlādhāra).

 

[22] Dans le péricarpe de ce centre anal (karnikādhāra) se trouve la matrice en forme de triangle (trikona yoni), secret de tous les Tantras.

 

[23] C'est là que réside la tortueuse kuṇḍalī, enroulée trois fois et demie, tel un éclair fulgurant. Elle est la déité gardienne de la voie de suṣumnā.

 

[24] Sans cesse engagée dans l'acte de manifestation cosmique, déesse de la Parole et pourtant indicible, elle est toujours honorée comme telle par les divinités.

 

[25] La ligne d'énergie située sur le côté gauche (idā nāḍī) s'entrelace autour de la suṣumnā et débouche sur la narine droite. La nāḍī que l'on nomme piṅgalā se situe à droite.

 

[26] Elle s'enroule elle aussi autour de suṣumnā et s'ouvre sur la narine gauche.

 

[27] Entre piṅgalā et  idā, suṣumnā contient six centres où résident six forces (śakti) qui ne sont connues que des yogin.

 

[28] Les cinq centres (au-dessus de mūlādhāra) possèdent de nombreux noms que les écritures (śastra) révèlent selon l'opportunité.

 

[29-30] D'autres lignes d'énergie (nāḍī), nées du centre-racine (mūlādhāra), parcourent toutes les parties du corps et atteignent le nez, la langue, l'anus, le ventre, les yeux, les orteils, les oreilles, les membres, etc. ; ensuite, elles retournent à leur origine (mūlādhāra).

 

[31] En bifurquant progressivement, ces nāḍī deviennent les trois principales et les 350 000 autres. Chacune occupe alors sa position respective dans le corps.

 

[32] Ces nāḍī protègent l'élément air (vāyu), c.à.d le processus respiratoire. Elles résident dans le corps et en constituent la trame.

 

[33-34] Le feu digestif est situé dans l'abdomen et comprend les douze fonctions solaires qui brûlent la nourriture. Ce feu est seulement une partie du rayonnement cosmique qui transforme toute matière à l'intérieur du corps des êtres vivants.

 

[35] Ce feu procure la force et la longévité. Il sustente le corps et permet de lutter contre la maladie.

 

[36]  De la sorte, le yogin avisé, dirigé par son guru, pourra brûler (digérer) correctement ses aliments.

 

[37] Dans ce corps à l'image cosmique de l'œuf de brahman (brahmānda), il existe de nombreux organes, mais, dans ce contexte, nous ne décrirons que les principaux pour mieux comprendre les écritures (śastra).

 

[38] Dans le corps, ils portent des noms variés et sont localisés en différents endroits qu'il n'est pas nécessaire de décrire.

 

[39] Dans le corps de l'individu ainsi composé réside une persistance de Conscience (ātman) qui, malgré tout, est liée à chaque karman personnel et imprégnée des senteurs de la guirlande de toutes les convoitises humaines (vāsanā).

 

[40] Ainsi, le vivant se trouve chargé de qualités variées (guna) qui vont organiser toute son histoire personnelle. En outre, à cette détermination, s'ajoutent les charges influentes du karman antérieur.

 

[4l] Ces expériences, constatées dans notre monde sont, en réalité, le fruit de chaque destinée individuelle, en accord constant avec la loi du karman.

 

[42] Les passions et les errements sont la cause des plaisirs et des douleurs. Tous suivent la loi du karman pour chaque être incarné (jīvakarmānusāra).

 

[43] Une conscience pure ne peut qu'être la cause d'une suite de développements heureux. Celui qui en bénéficie est certain de jouir d'un grand bonheur.

 

[44] Les hommes, soumis à la contrainte karmique (karmabala), subissent le plaisir et la douleur. Une conscience souillée par l'impureté ne trouvera jamais la paix.

 

[45] Il ne peut en être autrement. Rien n'y échappe. Tout ce qui appartient à ce monde provient d'une conscience ensorcelée par māyā.

 

[46] Tout comme l'expérience immédiate des êtres vivants sous l'empire de l'illusion peut faire prendre une perle blanche pour de l'argent, en raison de l'incidence néfaste de notre karman personnel, le Soi suprême (brahman) se trouve obscurci par les phénomènes de l'univers déployé.

 

[47] Cependant, l'illusion, née de nos inclinations souterraines, ne peut jamais être totalement extirpée. Pourtant, quand la prise de conscience se fait jour, elle peut devenir un moyen providentiel menant à la libération des liens de la dualité (mokṣa).

 

[48] Notre vision ordinaire nous offre une interprétation mensongère de la réalité. Elle n'a aucun rapport avec la vérité. La chose est certaine !

 

[49] L'illusion provoquée par cette vision fantasmatique ne peut être dissipée que grâce à la reconnaissance intérieure de la Réalité. Dans ce monde du devenir (saṃsāra), rien n'échappe à l'obscurcissement de l'illusion.

 

[50] Pour y remédier, il est impératif de pratiquer un retournement de la vision ordinaire des choses. Si cette transformation ne se fait pas, l'illusion persiste et on continue à prendre une perle pour de l'argent.

 

[51] Aussi longtemps que la réalité est masquée à nos yeux et qu'ainsi la Connaissance reste imperceptible, toutes les choses et tous les êtres apparaissent comme multiples et différenciés.

 

[52] Ce corps est, certes, le fruit du karman, mais si l'on parvient à l'utiliser comme un instrument d'émancipation définitive (nirvaṇa sādhana), il peut alors devenir un expédient salutaire.

 

[53] Quelles que soient les origines de nos imprégnations mentales (vāsanā), celles-ci adhèrent à l'individu incarné. Elles errent durant toute la vie et sont alimentées par cette compétition permanente entre le bien et le mal (kṛtya-akṛtya).

 

[54] C'est pourquoi le yogin désireux de traverser l'océan du devenir (saṃsāra sāgara), accomplira ses actes (karma) dans les meilleures conditions, mais, cependant, sans profiter de leurs fruits (phala varja).

 

[55] Les hommes attachés aux jouissances de ce monde persistent dans leurs erreurs en accomplissant des actes mauvais, malgré les conseils avisés des textes au sujet de la délivrance (nirvaṇa).

 

[56] Lorsque l'on obtient la révélation de son propre Soi (ātman) et rien d'autre, alors la dualité se dissipe si l'on sait se dégager de la notion du bien et du mal.

 

[57] Une fois acquise, la Connaissance (jñāna) efface toutes les passions. Quand disparaît la sensation de la pluralité des choses, la grande et unique Lumière consciente (prakaśa) s'élève enfin.

 

 

Chapitre III

 

[1] Dans le cœur réside un merveilleux lotus (kaṃja) avec un linga sacré. Il possède douze pétales ornés de douze lettres commençant par ka et finissant par ṭha.

 

[2] Là demeure l'énergie vitale du souffle (prāna) à laquelle s'ajoutent les imprégnations subconscientes (vāsanā), ces relents d'égout qui résultent d'innombrables karma antérieurs et définissent l'ego (ahamkāra).

 

[3] Cette force vitale (prāna) porte des noms divers en fonction des différents rôles qu'elle assume dans un corps. Mais, présentement, il n'y a pas lieu de les décrire tous.

 

[4] Les cinq énergies majeures se nomment : prāna, apāna, samāna, udāna et vyāna. Les cinq énergies mineures ont pour noms : nāga, kūrma, kṛkara, devadatta et dhañanjaya.

 

[5] Tels sont les dix noms mentionnés dans ce śastra. Activées par la poussée du karman individuel, ces énergies de l'air sont en action à l'intérieur du corps.

 

[6] Parmi ces dix énergies de l'air (vāyu), les cinq premières ont une particulière importance et prāna et apāna sont encore plus significatives.

 

[7] Prāna réside et circule dans le cœur ; apāna dans l'anus ; samāna dans l'ombilic ; udâna dans la gorge et vyāna se diffuse dans le corps entier.

 

[8] Les cinq autres énergies mineures (nāga, etc.) dirigent l'expectoration, le clignement des yeux, le désir de manger ou de boire, le bâillement, l'éternuement et le hoquet.

 

[9] Celui qui parvient à "voir" l'univers (brahmanda) ainsi représenté dans son propre corps, conquiert le Suprême en éliminant ses impuretés (papa).

 

[10] Maintenant, nous allons proposer une méthode rapide par la voie du yoga. Si un yogin connaît cette discipline, il ne pourra jamais douter de son efficacité.

 

[11] Seule la vérité émanant de la parole d'un authentique guru répand ses fruits. Tous les autres discours sont mauvais et ennuyeux. Ils n'apportent rien.

 

[12] Après avoir - respecté à la lettre les directives de son Maître, celui qui accède à la Connaissance en retirera tous les avantages pour longtemps.

 

[13] Sans aucun doute, le guru est un père, une mère, un dieu ! Il faut donc lui obéir aveuglément, en actes et en pensée !

 

[14] L'intervention du guru permet d'obtenir tous les bienfaits. Il faut toujours obéir à son guru, sinon rien de bénéfique ne peut advenir.

[15] Après avoir tourné trois fois autour du guru, on se placera à sa droite et on touchera ses pieds de la main gauche (savya). L'allégeance sera totale quand on aura tourné une fois encore autour de lui, par la droite.

 

Note : Il y a une utilisation très insolite de la main gauche pour toucher les pieds du guru, Habituellement la main gauche sert à d’autres besognes moins nobles, mais le texte ne laisse aucune équivoque svaya étant synonyme de vama, gauche ou main gauche.

 

[16] Sans tarder, les résultats se manifestent chez celui qui a confiance en soi même. Les autres n'y parviennent pas. Il est donc impératif d'avoir une pratique rigoureuse.

 

[17-18] Ceux qui restent attachés aux mondanités n'obtiennent aucun résultat. Pas plus que ceux qui doutent, qui ne vénèrent pas leur guru, ceux qui ont trop d'attachements, ceux qui ne cessent de s'impliquer dans de vaines controverses, ceux qui ont un discours haineux et aussi ceux qui n'ont pas su profiter pleinement des enseignements de leur maître.

 

[19-20] Le premier indice d'un aboutissement est la certitude que la pratique du yoga mène au succès. Le second est la persistance de cette confiance. Le troisième, la vénération du guru. Le quatrième, l'équanimité (samatābhāva). Le cinquième, le contrôle des sens (indriyanigraha). Enfin, le sixième, la surveillance du régime alimentaire. Il n'existe pas de septième précepte !

 

[21] Après avoir découvert le meilleur guru et obtenu de lui les directives sur le yoga, on commencera la pratique en suivant ses instructions à la lettre et en toute confiance.

 

[22-23] Assis dans la posture du lotus (padmāsana), dans un endroit approprié, le yogin pratiquera les exercices de contrôle du souffle, le corps droit et parfaitement calme. Mais auparavant, il aura rendu grâce à son sage guru, l'aura salué ainsi que le destructeur des obstacles (c.à.d Ganeśa), placé à sa droite ; puis Ambikā (c.à.d Pārvatī) et Kṣetrapāla la divinité gardienne du lieu (c.à.d Śiva).

 

[24-25] Le yogin fermera alors la narine droite (le canal piṅgalā) avec son pouce. Il aspirera l'air par la narine gauche (le canal īḍa). Ensuite il fera une rétention, la plus longue possible. Puis il effectuera la même chose, lentement, par la narine droite, retenant l'air aspiré sur piṅgalā le plus longtemps possible. Tel se présente kumbhaka, la rétention du souffle.

 

[26] L'inspiration de l'air par la voie gauche devra être très progressive. On pratiquera cet exercice de rétention vingt fois à la suite.

 

[27 Ce genre de rétention du souffle libère le mental de toutes ses imprégnations morbides. On la pratiquera quatre fois chaque jour, le matin, à midi, le soir et à minuit, sans exception aucune.

 

[28] Pratiquée avec soin et très régulièrement pendant trois mois, cette discipline a le pouvoir de purifier les lignes d'énergies (les nāḍī) pour longtemps.

 

[29l Quand les nāḍī  de l'apprenti yogin ont été purifiées, celui-ci devient capable d'aborder la véritable et efficace rétention du souffle (kumbhaka).

 

[30] La purification des nāḍī fait apparaître certains signes dans le corps du yogin. En voici donc une brève description :

 

[31] Le corps s'assouplit, le teint s'éclaire, la voix devient sonore et l'haleine embaume. L'appétit augmente. Le yogin est gai et enjoué ; ses membres sont déliés et fonctionnent avec aisance.

 

[32] Grâce à ces améliorations physiques, le praticien éprouve la joie du cœur. Son corps respire la santé, la force et l'optimisme.

 

[33] Les différents stades de la pratique du yoga sont les suivants : les préliminaires, la technique du pot (ghaṭa, c.à.d kumbhaka, la rétention du souffle), la maîtrise de cette discipline et son aboutissement.

 

[34] Nous avons déjà parlé des préliminaires. Quant à la maîtrise du souffle et tout ce qui peut effacer la douleur et l'affliction, nous en traiterons ultérieurement.

 

[35] Pour l'heure, examinons les obstacles à surmonter sur la voie du yoga ; ceux que tout yogin doit franchir pour traverser l'océan de douleurs ici-bas, le monde du samsara.

 

 

[36-37-38] Tout d'abord, le yogin s'abstiendra de nourritures trop acides, rudes et sèches, piquantes (telle la moutarde), salées, amères ou astringentes ; d'aliments frits à l'huile. Il évitera les jeûnes, les bains du petit matin, les circulations et les vagabondages ; le vol, la violence, la jalousie, tout sentiment égoïste ; la tricherie, le mensonge ; la cruauté envers les animaux ; la fréquentation des femmes et les rapports sexuels ; les nombreuses relations, les bavardages ainsi que les discussions et les vaines controverses ; les cultes au feu, enfin, l'avidité et la gourmandise.

 

[39] Nous allons proposer une voie rapide pour obtenir un plein succès dans le yoga. Mais, pour en réaliser la parfaite maîtrise, il faut la garder secrète !

 

[40-41-42] Celui qui suit ces préceptes, comme, par exemple, consommer du beurre clarifié, du lait, des feuilles de bétel sans poudres additives, du camphre, de l'eau douce non souillée ; habiter dans un endroit agréable, se vêtir sobrement, étudier quotidiennement les écritures, chanter les louanges de Vishnu, écouter de belles musiques, servir humblement le guru et pratiquer l'indulgence et toutes les disciplines codifiées (niyama), celui-là est le meilleur des yogin.

 

[43] Le yogin prendra ses repas uniquement lorsque l'élément air (vāyu) entre dans la phase solaire (c.à.d. en piṅgalā). Par contre, lorsque l'air entre dans la phase lunaire (c.à.d en īḍā), ce sera le moment pour lui d'aller dormir. (Ce rythme est donc déterminé en fonction des pratiques respiratoires. N.d.t.).

 

[44] Un yogin avisé ne pratiquera pas les exercices de souffle immédiatement après les repas, ni quand son estomac est plein. Avant la pratique, il est conseillé d'absorber quelque produit à base de lait.

 

[45] Ces consignes peuvent être transgressées quand les exercices sont parfaitement maîtrisés. Mais cette permission sera graduelle et à condition que le yogin consomme sa nourriture en quantité infime. Ainsi, la pratique de la rétention du souffle (kumbhaka) doit être effectuée quotidiennement, comme nous l'avons indiqué plus haut.

[46] Ensuite, quand le yogin a réussi à acquérir, par sa pratique assidue, une énergie véritable, et à maîtriser son souffle pendant de longs moments, on peut considérer que la rétention devient efficiente. Quand il a "stupéfié sa respiration" (kevaîa kumbhaka), que doit faire le yogin ?

 

[47]Au début, on constate une transpiration abondante (.sveda) sur tout le corps du yogin. Celui-ci doit alors frotter son corps avec la sueur, ce qui lui permettra de conserver la vitalité de ses constituants corporels (dhātu).

 

[48] Au second stade, il ressent des tremblements. Ensuite se produisent des sauts à la manière des grenouilles. Après une pratique prolongée, il deviendra un sādhaka capable de réaliser le vol magique dans le ciel. (12)

 

[49] Quand le yogin, toujours assis en padmāsana, peut accéder à la lévitation, c'est qu'il maîtrise parfaitement le souffle (vāyu siddhi). Désormais, pour lui, le monde illusoire du saṃsāra disparaît.

 

[50-51-52] En poursuivant sa pratique, le yogin pourra constater quelques symptômes significatifs : réduction du temps de sommeil, des matières fécales et de la miction ; absence de maladies et de douleurs ; disparition des transpirations intempestives, des excès de salivation, des parasites et des vers ; parfait équilibre des humeurs, eau, feu et air (c.à.d kapha : liquide lymphatique, pitta : bile, vāta ou anila : l'énergie du souffle). Le yogin adoptera un régime alimentaire restrictif. Ensuite, la nourriture, quelle que soit la quantité, excessive ou insuffisante, ne lui créera aucun trouble.

 

[53] Un des résultats de ces pratiques donne au yogin le pouvoir de "se mouvoir en toute aisance sur cette terre" (bhucarī), ce qui lui permet d'éloigner tous les animaux féroces en frappant simplement dans ses mains.

 

[54] Mais, à ce niveau, apparaissent de très importants obstacles, bien difficiles à franchir. Malgré cela, le yogin devra poursuivre sa pratique, au péril même de sa vie (c.à.d ; au risque de perdre le prāṇa).

 

[55] Le sādhaka ira s'asseoir dans un lieu solitaire, contrôlera ses sens et répétera longtemps la syllabe Auṃ (praṇava), afin de surmonter tous ces obstacles.

 

[56] Grâce à la maîtrise de l'énergie du souffle vital (prānāyāma), le sādhaka devient capable d'effacer le karman accumulé dans ses existences antérieures, aussi bien que celui amassé dans sa vie présente.

 

[57] Les yogin expérimentés peuvent détruire tous les effets antérieurs des actions bonnes ou mauvaises par la seule pratique des seize exercices de contrôle du souffle vital (ṣodaśa prāṇāyāma).

 

[58] A l'instar d'un tas de coton dévoré par le feu, les péchés sont brûlés et bientôt, tout comme eux, les vertus le sont aussi.

 


 

[59] Après acquisition des huit pouvoirs supranormaux, par les moyens de la maîtrise du souffle (prāṇāyāma), le Maître des yogin peut naviguer librement dans les trois mondes (physique, subtil, causal), car, dès lors, il a atteint l'autre rive, au-delà du bien et du mal.

 

Note : Ces huit pouvoirs occultes sont désignés comme suit :

 

1-      Aṇiman, devenir aussi petit qu’un atome. Réduire son corps ou distinguer les objets les plus infimes.

2-      Mahiman, devenir très grand. Voir des structures immenses, jusqu’aux systèmes galactiques les plus lointains.

3-      Laghiman,  être libéré de la pesanteur (lévitation et vol magique).

4-      Prāpti, obtenir tout ce que l’on désire et pouvoir se transporter n’importe où dans le temps et dans l’espace.

5-      Prākāmya, pouvoir tout accomplir. Pénétrer toute chose. Se rendre visible ou invisible.

6-      Vaśitva, avoir la maîtrise de tous les éléments et de tous les êtres sans considération temporelle.

7-      Īśistṛtva, avoir le contrôle de la vie et de la mort. De la conception de tout ce qui existe

8-      Yatrakāmāvasāyitva, pouvoir suprême de détermination selon son propre désir, sauf pour le dharma, l’ordre cosmique.

 

Mais ces prétendus pouvoirs demeurent également des obstacles, ce qui fait dire à la yoga-tattva-upaniṣad : « L’adepte regardera ces pouvoirs occultes comme des obstacles sur le chemin vers la réalisation ; il ne les recherchera pas et s’il les possède, n’en tirera aucune gloire  afin de rester un vrai yogin. Il tiendra ses pouvoir au secret et agira exactement comme un homme ordinaire ou un simple d’esprit, au besoin comme un être privé de sens. »

 

[60] Cette pratique régulière permet au yogin d'accomplir les trois stades du prāṇāyāma. Ensuite, les pouvoirs qu'il souhaite acquérir sont obtenus en fonction de sa maîtrise.

 

[61-62] Les pouvoirs, tels que la prophétie, la capacité de déplacement à volonté, l'invisibilité, la prémonition, l'audition de l'inaudible, la possibilité d'entrer dans le corps d'autrui, la transmutation de l'urine ou de la merde en or, la lévitation, tous ces pouvoirs sont désormais accessibles au yogin.

 

[63] Quand celui-ci atteint le plus haut stade de la rétention du souffle (ghaṭa-parā), rien dans ce monde ne peut échapper à sa domination.

 

[64] Ce nom, ghaṭa (de GHAJ: produire, créer), est donné en raison de ses cinq constituants et de leurs pouvoirs : prāṇa (inspir), apāna (expir), nāda-bindu (c.à.d nāda et bindu, symbole de l'ovule et du sperme), jīvātman (le Soi ressenti dans l'individu) et paramātman (le Soi universel et impersonnel). Ils se conjuguent pour cette expérience.

 

[65] Quand il est possible de maintenir la rétention (kumbhaka) pendant au moins un yāma (c.à.d 3 heures), on obtient la rétraction des sens (pratyāhāra). C'est certain.

 

[66] Dès lors, tout ce que perçoit le grand yogin lui apparaît comme étant l’ātman. Ses sens, désormais maîtrisés, se trouvent entièrement sous son contrôle.

 

 

[67-68] Lorsque le souffle peut être retenu pendant trois heures (un yāma), il est permis de limiter cette rétention à une fois par jour (c.à.d. 3 heures au lieu de 3 x 3, soit 9h !). Si le yogin est capable de garder la rétention pendant huit danda (soit huit ghatikā c. à. d. environ 240 minutes), il devient aussi léger que du coton et peut supporter un poids égal au sien sur le bout de son pouce !

 

[69] Le résultat de cette pratique constante procure une accoutumance (paricaya). A ce niveau, le souffle alterné quitte les lignes d'énergie lunaire-solaire (c.à.d  īdā et piṇgalā) et se trouve immobilisé.

 

[70] Quand ces habitudes sont devenues chose courante, l'air entre en suṣumnā, devient actif et perfore les cakra.

 

[71] Dans cet état nommé paricaya, et résultant de la pratique assidue, le yogin prend conscience du triple aspect du karman enfermé en lui (c.à.d la transmutation du karman à travers le processus des trois fonctions de la Manifestation, les guna sattva, rajas et tamas).

 

[72] Il en ressort que, pendant les tentatives de modification du karman par la récitation du praṇava AUM, le yogin construit en lui-même une forteresse qui peut lui permettre d'effacer le karman par le dedans.

 

[73] A ces moments, un grand yogin pourra se concentrer (dhārana) sur les cinq éléments. Quand la terre, le feu, etc., sont maîtrisés, on ne craint plus rien d'eux.

 

[74-75] Le yogin avisé se concentrera sur chacun des centres d'énergie de son corps (ādhara ou cakra) où siègent les liṅga, pendant cinq ghaṭikā (2h30mn) : celui de la base (mūlādhāra) ; celui au niveau du bas-ventre (svādiṣṭhāna) ; celui du nombril (maṇipūra) ; celui du cœur (anāhata) ; celui de la gorge (viśuddha) et le centre intersourcilier (ājñā).Quand cela est réalisé, le yogin demeure à l'abri de tous les dommages causés par les éléments.

 

[76] Celui qui pratique régulièrement la concentration (dhāranā) sur les cinq éléments (pancabhūta) peut vaincre la mort et vivre durant cent jours de Brahma (c.à.d cent cycles cosmiques d'émanation et de destruction de l'univers, soit cent kalpa. Un kalpa vaut environ 128 milliards d'années humaines. N.d.T).

 

[77] C'est ainsi que, par un effort constant, le yogin accomplit sa tâche, celle d'effacer le cours permanent du karman. Désormais, il boit éternellement l'élixir d'immortalité (amṛta).

 

[78-79] Lorsque le yogin a terminé son travail pour épuiser le karman et est parvenu à l'enstase (samādhi), il se libère de l'esclavage de cette vie et entre dans la paix. En cette circonstance, le samādhi intervient spontanément quand le prāṇa, imprégné de conscience, de puissance et de célérité, perce les cakra et se présente alors comme la force de la Connaissance (jñāna śakti).

 

[80] Maintenant, nous décrirons les méthodes de contrôle du souffle qui peuvent venir à bout de toutes les souffrances et interrompre le cycle des vies et des morts (saṃsāra).

 

[81] En plaçant la langue contre le palais (tālumūla) et en aspirant lentement l'air chargé d'énergie (prāṇānila), le yogin est capable de vaincre toutes les maladies (roga).

 

[82] Ensuite, il pratiquera l'exercice appelé śītalī, en sortant entre les lèvres la langue enroulée en bec de corbeau (kākamudrā). En contrôlant ainsi l'inspir et l'expir (prāna-apāna), il mérite l'accès à la délivrance (mukti).

 

[83] Lorsque, chaque jour, le yogin pratique l'aspiration de cet air délicieux, toute fatigue, toute agitation et toutes maladies disparaissent.

 

[84] En enroulant ainsi la langue, il boit le nectar lunaire (candrasalila) et peut conquérir la mort en moins d'un mois.

 

[85] De même, quand l'air est absorbé en plaçant le bout de la langue dans l'interstice à la racine des incisives (il s'agit alors de sītkārin), tout en méditant sur la déesse kuṇḍalinī, en six mois le yogin devient un prophète.

 

[86] En aspirant l'air frais, chaque matin et chaque soir, avec la langue en bec de corbeau et en se concentrant sur la bouche (ou l'image) de la kuṇḍalinī, toutes les maladies sont éliminées.

 

[87] Le yogin qui pratique assidûment cet exercice acquiert aussitôt le pouvoir d'entendre des sons inaudibles, de voir l'invisible et aussi de devenir lui-même invisible.

 

[88] Quand il aspire l'air très lentement, en gardant la langue retournée et appuyée contre l'interstice des incisives, il peut conquérir la mort.

 

[89] Celui qui, chaque jour, pratique ce genre d'exercice pendant six mois, se libère de toutes les maladies et de tous ses péchés.

 

[90] Ce yogin devient l'égal de Bhairava quand il pratique durant un an ; il obtient tous les pouvoirs magiques, anima, etc. et il a triomphé des cinq éléments.

 

[91] Si, à ce moment, il est capable (en pratiquant le bec de corbeau) de maintenir sa langue retournée pendant la moitié du temps (c.à.d. la moitié du temps de rétention), il est immunisé contre les maladies, la vieillesse et la mort.

 

[92] Le yogin, avec la langue retournée et absorbant le prāna en même temps, jamais, vraiment jamais, ne connaîtra la mort.

 

[93] Cette pratique lui procure une incomparable qualité de peau. Cette admirable complexion le hisse au rang du dieu de l'amour, Kāmadeva. Il ne craint plus la faim, la soif, la torpeur du sommeil et l'évanouissement.

 

[94] En conséquence, le grand yogin acquiert le pouvoir de se déplacer sur cette terre, sans aucune entrave.

 

[95] Il ne renaîtra pas sur cette terre ; au-delà du bien et du mal, il demeure désormais dans la joie, à l'instar des dieux.

 

[96] Il existe 84 postures (āsana). Nous en décrirons quatre qui sont les plus importantes : siddhāsana, padmāsana, ugrāsana et svastikāsana.

 

[97-98-99] D'abord, le yogin placera un pied contre la cuisse opposée en pressant fermement le périnée avec le talon. Ensuite, il pliera l'autre jambe au-dessus, le talon recouvrant les organes génitaux. Puis, le mental bien concentré, contrôlant ses sens, il se fixera sur le centre intersourcilier (bhrūmadhya). Le corps doit rester très droit, et le lieu de pratique solitaire et calme. Un tel siddhāsana, réalisé dans les meilleures conditions, apportera au yogin tous les pouvoirs occultes qu'il désirait ; et le yoga est ainsi réalisé.

 

[100] Cette posture, siddhâsana, est la meilleure offerte à ceux qui souhaitent pratiquer le contrôle du souffle. On peut ainsi franchir l'océan de la dualité (saṃsāra) et atteindre la suprême réalisation.

 

[101] Aucune autre posture (āsana) n'égale celle-ci dans ce monde. Elle donne au yogin le pouvoir d'effacer tous ses péchés.

 

[102-103-104-105] Tirer et croiser les deux jambes en plaçant chacune d'elles sur la cuisse opposée, la plante des pieds tournée vers le haut. Garder les mains sur les cuisses, les paumes également dirigées vers le haut. Ensuite, presser la gencive supérieure avec la langue et fixer le regard sur la pointe du nez. Enfin, il faut expulser l'air des poumons, abaisser le menton (jālandhara bandha) et diminuer lentement l'entrée de l'air en bloquant les poumons au maximum. Faire ce travail (de non-souffle) doucement mais en continu. On appelle cette posture padmāsana, "le lotus". Elle guérit toutes les maladies. Bien que, assez difficile à réaliser pour tout le monde, un yogin avisé est capable d'y parvenir au mieux.

 

[106] Quand on pratique cette posture, l'énergie vitale (prāṇa) se trouve rapidement régulée. Il est certain que si l'on s'y exerce quotidiennement, le contrôle devient parfait.

 

[107] On peut affirmer, en toute certitude, que le yogin, assis en padmāsana, qui pratique ce genre de prāṇāyāma sera aussitôt délivré de ses servitudes.

 

[108-109] Etendre les deux jambes, l'une contre l'autre. Placer la tête sur les genoux et saisir les jambes (les pieds) avec les mains. On appelle cette posture ugrāsana (terrible) ; elle attise l'énergie digestive et supprime les maladies physiques. On la connaît aussi sous le nom de paścimottāna (tirant vers l'occident).

 

[110] Celui qui pratique quotidiennement cette excellente posture fait circuler l'énergie de l'air (vāyu) dans la voie centrale (suṣumnā nāḍī).

 

[111]  II hérite de tous les pouvoirs magiques (siddhi). Donc, le yogin qui souhaite réussir, a tout intérêt à maîtriser cet exercice.

 

[112] Il faut vraiment tenir secrète cette posture et ne pas la divulguer à n'importe qui. Grâce à elle, le contrôle du souffle (marutasiddhi) est assuré et c'est enfin l'achèvement de cet interminable flot de douleurs.

 

[113] Insérer les deux pieds dans la pliure des genoux opposés. Rester ainsi, assis, bien droit dans cette position agréable. On nomme cette posture svastikāsana (en forme de croix).

 

[114] Quand le yogin pratique le contrôle du souffle dans cette posture, son corps est très vite libéré des maladies et il maîtrise aussitôt le souffle.

 

[115] Cette posture qui permet de détruire toutes les afflictions est également appelée sukhāsana (assise confortable). La plupart des yogin la méconnaissent, mais, en la pratiquant, elle s'avère comme la meilleure façon de se maintenir en bonne santé.

 

Chapitre IV

 

[1] Pour commencer, dans la posture choisie, on fera une inspiration profonde (pūraka) ; en même temps, il faut contracter l'anus (mūlabandha) et se concentrer sur le centre de la base. (yoni, c.à.d. mūlādhara cakra).

 

[2-3] Il faut ensuite visualiser kāma (le symbole erotique désignant la kuṇḍalinī), parfumé telle une fleur de l'arbre bandhūka (pentapetes phoenica.Linn)  et pénétrant son lieu originel (brahmayonigata, c.à.d suṣumnā), illuminé des rayons de mille soleils et lunes, au-dessus desquels brille une fine pointe de lumière qui symbolise la plus haute forme de la Toute Conscience. La prise de conscience de soi-même (de son ātman) est là, imbriquée dans cette Connaissance.

 

[4] On peut ainsi expérimenter les trois formes de vie (Liṅga-traya : physique - subtil - causal) qui empruntent cette voie et d'où s'écoule le nectar d'immortalité (amṛta), apportant un immense bonheur par l'émission du visarga. (19)

 

Note : Les souffles prāṇa et apāna fusionnent sur les deux points du visarga, c.à.d le bindu scindé en deux pôles (:). « Exercer une poussée ascentionnelle sur la suprême énergie faite des deux points superposés du visarga que représentent le soufle inspiré (prāṇa) en haut et le souffle expiré en bas (apāna). La plénitude s’établit lorsque ces deux points sont maintenus sur leur double lieu d’origine. » (Vijñana Bhairava Tantra)

 

[5l] Cette kuṇḍalinī de couleur rosé et imprégnée de l'énergie du flot de nectar divin, s'élance jusqu'au sommet (c.à.d le sahasrāra cakra), y goutte l'ambroisie (amṛta) et retourne à son lieu d'origine (mūlādhara), appelé aussi kula.

 

[6-7] Sans cesse, ce jaillissement se produit et les textes (tantra) le décrivent comme étant la force vitale. Finalement, cette kuṇḍalinī se fond dans le feu de Śiva qui est l'ātman même.

 

[8] La technique du yoni-mudrā est remarquable pour la saisir. Et, lorsqu'on l'a capturée, le yogin devient apte à tout maîtriser.

 

[9-10-11-12-13] Toutes les directives concernant cette mudrā s'avèrent le plus souvent incomplètes et défaillantes, fausses, condamnables, indigentes, obsolètes, trop zélées, nuisibles même, inconsistantes, décousues, sans intérêt ou encore transmises sans aucune règle. Pour obtenir la maîtrise de ce type de yoga, il est impératif de recevoir les instructions d'un guru. Quand elles sont correctement données, et après lui avoir rendu mille hommages, elles peuvent alors porter fruit. C'est seulement à ce moment que cet exercice peut être appelé yoni-mudrā.

 

[14] Même si l'on a tué mille brahmanes ou causé des torts à tous dans les trois mondes, la pratique de yoni-mudrā absoudra de toutes les fautes commises.

 

[15] Assassiner son guru ou avoir des rapports sexuels avec l'épouse de celui-ci, s'enivrer ou commettre des vols, toutes ces horreurs sont effacées quand yoni-mudrā est parfaitement réalisée.

 

[16] Donc, cet exercice devra être pratiqué régulièrement par ceux qui désirent obtenir la délivrance de tous les conditionnements (mokṣa). Seule cette mudrā permet d'accéder aux pouvoirs occultes (siddhi) et d'ouvrir la voie à mokṣa.

 

[17-18] Elle ouvre aussi l'accès à la Connaissance, rend le yoga performant, assure la qualité et le maintien de toutes les mudrā et des pouvoirs magiques. Elle permet d'échapper à l'usure du temps et à la mort. Elle donne le pouvoir de la parole juste (vāk siddhi) et celui de se mouvoir partout à sa guise (kāmacārī).

 

[19] yoni-mudrā reste très secrète et ne doit surtout pas être communiquée à n'importe qui. Elle ne doit pas être divulguée aux personnes déméritantes, même si leur vie est sur le point de s'éteindre.

 

[20] Nous décrirons maintenant la meilleure méthode pour progresser dans le yoga et obtenir les pouvoirs occultes (siddhi).

 

[21] Quand, par la grâce du guru, s'éveille kuṇḍalī, dans sa montée, elle perfore les lotus (cakra), placés tout le long de son parcours.

 

[22]  Donc, pour comprendre cette déesse  qui sommeille à la "fente du Brahman" (brahmarandhra), il faut pratiquer les mudrā que nous allons maintenant décrire.

 

[23-24] Mahāmudrā, mahābandha, mahābheda, khecarī, jālandhara, mūlabandha, viparīta-karani, uddāna, vajrolī, śakticālana, telles sont les dix mudrā essentielles.

 

[25] Nous décrirons d'abord le "grand sceau", mahāmudrā, Ô toi, femme du bien-aimé (Pārvati). Par sa pratique régulière, les anciens comme Kapila (fondateur du sāṃkhya) ont gagné les pouvoirs.

 

[26-27-28-29] Presser fortement le périnée avec le talon gauche, selon les instructions du guru. Puis étendre la jambe droite et tenir le pied des deux mains. Ensuite, appuyer le menton sur la poitrine et obturer les neuf émonctoires du corps. Concentrer le mental sur le prāna et la Conscience Suprême (dû et faire une rétention du souffle (en fait, après dix bhastrikā). C'est mahāmudrā que tous les Tantra tiennent secrète. Le yogin, ayant contrôlé son mental, doit pratiquer l'exercice sur le côté gauche, puis sur le côté droit, en faisant un nombre égal de contrôles respiratoires (prānāyāma : inspir-rétention-expir). Ainsi, même le moins doué atteindra le but.

 

[30] Reçue directement du guru, mahāmudrā permet même à un yogin inexpérimenté d'obtenir un plein succès.

 

[31] Grâce à mahāmudrā, toutes les nāḍī sont activées, le sperme (bindu) ne s'écoule plus à l'extérieur, les toxines sont éliminées du corps. On atteint l'impeccabilité.

 


 

[32-33] La kuṇḍalinī s'embrase avec le feu digestif et l'air vital (agni et prāna) et pénètre le brahmarandhra. Toutes les maladies disparaissent ; on gagne la beauté corporelle ; la décrépitude et la mort sont vaincues. On obtient alors tout ce que l'on désire. C'est le bonheur absolu ; tous les sens sont désormais maîtrisés, tous les objectifs définitivement réalisés.

 

[34] Il n'existe aucun doute : tous les signes que nous avons mentionnés indiquent que le yogin a maîtrisé cette technique, uniquement par sa pratique régulière.

 

[35] Cette mudrā qui permet au yogin de traverser l'océan de la dualité doit être soigneusement tenue secrète.

 

[36] Celle-ci, ici décrite, est considérée par tous les sādhaka comme la vache céleste (kāmadudhā ou kāmago, la bienfaitrice). On doit la protéger et ne pas la transmettre à tout le monde.

 

[37-38-39-40] Etendre les jambes, puis placer le pied (droit) sur la cuisse (gauche). Contracter l'anus et le périnée et tirer vers le haut l'énergie excrétive apāna en la faisant coïncider avec l'énergie digestive samāna (par le souffle). Attirer l'énergie du souffle vital prāna vers le bas (avec l'inspir). Le yogin avisé relie alors prāna et apāna et les fait monter ensemble. Ce mahābandha, "la grande ligature", conduit vers le front le fluide qui circule dans le réseau des nāḍī et le yogin reçoit ainsi des pouvoirs occultes. Puis, on étendra doucement l'autre jambe, et on recommencera l'opération.

 

[41-42] Avec la pratique, le prāna s'établira au centre, en suṣumnā. Cela fortifie le corps ; les muscles et la charpente osseuse se consolident. Le coeur du yogin s'emplit de joie, sa capacité pulmonaire augmente et, en continuant son exercice, tous ses désirs seront comblés.

 

[43] Ô déesse des trois mondes ! Seul est sage le yogin qui sait unifier apāna et prāna en lui-même (en emplissant son ventre d'air) et en créant une pression de chaque côté. Telle est "la grande perforation", mahābheda, très recommandée.

 

[44] Grâce à elle, le yogin peut, par ce geste à travers suṣumnā, pénétrer le "nœud de Brahmâ" (brahma granthi).

 

[45] Celui qui s'astreint chaque jour, et en secret, à cette discipline contrôle parfaitement ses énergies de l'air et est ainsi libéré des maladies et de la mort.

 

[46] Par le contrôle et la pression de l'air, les forces résidant dans les cakra et la déesse kuṇḍalī, sommeillant enroulée (en mūlādhara), s'éveillent. C'est elle, la Śakti, la grande Māyā, la grande magicienne (mahāmāyā), qui s'élance jusqu'au sommet du mont Kailāsa (c.à.d la demeure de Shiva, le lotus aux mille pétales : sahasāra.).

 

[47] Le yogin doit pratiquer conjointement mahāmudrā et mahābandha. Ces deux ligatures demeurent sans effet si elles ne sont pas associées à mahābheda.

 

[48] Celui qui pratique ces trois exercices quatre fois par jour (matin-midi-soir-minuit) très régulièrement, triomphe de la mort en six mois !

 

[49] Seuls les initiés connaissent la grande valeur de ces trois pratiques. Quand ils les maîtrisent, les sādhakā obtiennent tous les pouvoirs magiques (siddhi).

[50] Donc, les yogin qui souhaitent accéder à une telle maîtrise devront tenir secret cet exercice, sinon cette mudrâ ne leur procurera aucun pouvoir occulte.

 

[51-52-53] Le yogin avisé s'installera, fermement assis, en un lieu solitaire et fixera son regard entre les sourcils. Il tirera la langue puis la retournera le plus loin possible au fond du palais d'où s'écoule le nectar qu'il retiendra avec précaution. Telle est khecarī mudrā révélée aux dévots (de Śiva). Cette mudrā est plus précieuse que la vie et donne tous les pouvoirs occultes.

 

[54] Celui qui, chaque jour, boit ce nectar (pīyūṣa) acquiert un corps parfait (vigraha) et conquiert la mort, tout comme un lion (kesara) peut vaincre un éléphant (mātaṅga).

 

[55] Quiconque, pur ou impur, même sans respect des directives, peut maîtriser cette khecarī, devient aussitôt irréprochable (śuddha).

 

[56] Celui qui parvient à réaliser cette mudrā, ne serait-ce que pour une courte durée, sera capable de traverser l'océan des turpitudes (pāpamahārnavā). Il jouira de la vie divine et pourra renaître au sein d'une famille noble et vertueuse.

 

[57] Si l'on pratique khecarī mudrā avec précision et patience, l'éternité des cent jours de Brahmâ (satabrahmā : 128 milliards x 100 d'années humaines) sera réduite à un court instant.

 

[58] Grâce aux préceptes de son guru, le yogin avisé qui pratique khecarī mudrā atteint la voie suprême, malgré ses nombreux défauts.

 

[59] Ô toi, vénérée des dieux (surapūjita = Pārvatī), cette mudrā doit être gardée secrète et ne jamais être divulguée à quiconque, même à un être aussi cher que notre propre souffle vital (svaprāna).

 

[60-61] Appuyer le menton sur la poitrine afin de fermer le réseau des nāḍī. C'est la "ligature du réseau", jālandharabandha, difficile pour les dieux mêmes. Cette contraction empêche l'ambroisie qui coule du lotus aux mille pétales (sahasrāra) au sommet du crâne, d'être dévorée par le feu digestif résidant dans le centre du nombril (nābhi ou manipūra) de tous les êtres.

 

[62] Par ce jālandhara, le sage yogin arrive à boire lui-même le nectar (pīyūṣa) et ainsi il gagne l'immortalité et voyage avec délices dans les trois mondes.

 

[63] Quand il est maîtrisé, jālandharabandha apporte tous les pouvoirs supranormaux. Les yogin qui souhaitent les acquérir doivent le pratiquer très régulièrement.

 

[64] Fermer l'anus et y appuyer le talon, puis tirer vers le haut l'énergie excrétive apāna et la diriger lentement, mais avec force, sur la région supérieure.

 

[65-66] C'est mūlabandha, "la ligature de la base", qui vainc la vieillesse et la mort. Elle permet l'union des énergies vitales, excrétive et respiratoire, apāna et prāna. Ce bandha s'apparente à une forme de yoni-mudrā, et ainsi ce "geste de la matrice" s'exécute naturellement.

 

 

[68] Grâce à mūlabandha, le yogin peut conquérir l'énergie de l'air (anila). Même assis en padmāsana, il pourra s'élever au-dessus du sol. Ce bandha doit être exécuté en un lieu solitaire et dans le secret si le yogin souhaite vraiment traverser l'océan de la dualité et des transmigrations (saṃsāra sāgara).

 

[69] Placer le sommet de la tête sur le sol, puis élever les deux jambes. Telle se présente viparīta karaṇī mudrā (ici il s'agit, en fait, de śirśāsana) dont le secret est consigné dans les tantra.

 

[70] Si le yogin pratique cette posture durant un yāma (c.à.d. trois heures par jour), il conquiert la mort. Il ne peut être détruit, même à l'heure de la dissolution finale du l'univers (pralaya).

 

[71] Quant il boit l'ambroisie (amṛta), il devient l'égal des autres siddha. La maîtrise de cette mudrā lui donne tous les pouvoirs dans les trois mondes.

 

[72-73] Pousser le nombril vers le haut, puis vers le bas comme lorsque l'on contracte et gonfle le ventre. Telle se présente uddānabandha (ou uddlyānabandha, m.à m. "ligature qui permet l'envol des énergies"). Sa pratique (en apnée !) soulage de tous les maux et maladies. On peut aussi rentrer l'estomac tout en poussant le nombril vers le haut (le diaphragme). C'est une autre façon de procéder. Cela apporte la vigueur du "lion - qui dompte - l'éléphant - de la mort" (mṛtyumātaṅgakesari).

 

[74] Le yogin qui pratique régulièrement cet exercice, quatre fois par jour, voit ses intestins se purifier. En conséquence, l'air et son corps entier se trouvent purifiés.

 

[75] Quand un yogin s'y consacre durant six mois, il devient apte à vaincre la mort. Cette pratique attise le feu digestif (agni) et renforce les sucs digestifs et le chyle (rasa).

 

[76] Avec ce procédé le corps devient parfait et le yogin est très vite à l'abri de toutes les maladies.

 

[77] Après avoir suivi les meilleures directives de son guru, il entreprendra cet exercice dans un lieu solitaire et agréable. Ce bandha est véritablement extraordinaire.

 

[78] Pour l'amour de mes dévots, nous décrirons maintenant la plus secrète de toutes les mudrā qui détruit l'obscurité du monde, le "geste de la foudre", vajrolī-mudrā.

 

[79] Vivant selon ses désirs, sans respecter non plus les règles morales du yoga, même l'homme marié peut atteindre la délivrance des conditionnements en la pratiquant.

 

[80] Vajrolī offre la libération à tous ceux qui ont cependant goûté aux jouissances de ce monde. C'est donc le devoir des yogin de pratiquer cette discipline avec le plus grand soin.

 

[81-82] Tout d'abord, le sage doit essayer d'aspirer par l'urètre le fluide féminin du vagin (yoni) et l'attirer dans son propre corps en faisant manoeuvrer son sexe, sans éjaculation. Si, par hasard, le sperme commence à se mouvoir, on doit le stopper avec yoni mudrā, le tirer vers le haut et l'amasser du côté gauche (īḍā).

 

[83-84] Ensuite, le yogin arrêtera un moment le mouvement de va-et-vient de son ithyphalle et, en suivant les instructions du guru, répétera par deux fois la syllabe Huṃ (bîja de protection), puis fera à nouveau mouvoir son membre viril dans le vagin. Tirant à l'intérieur l'énergie excrétive apāna, il attirera en lui la force sexuelle féminine. Telle est vajrolī-mudrā.

 

[85] C'est la meilleure manière de maîtriser le yoga rapidement. Le yogin travaillant auprès de son guru aux pieds de lotus, pourra ainsi absorber très vite la nourriture des vaches célestes (gavyabhuk, c.à.d l'amṛta, le nectar).

 

[86] Sachant que la semence masculine (bindu) est le principe lunaire et le fluide féminin (rajas) le principe solaire, on doit les unir et les faire pénétrer dans son corps.

 

[87] Lorsque moi (aham : je suis), la semence mâle (bindu) et la śakti qui est la semence femelle (c.à.d sperme et ovule) sommes unis dans le corps du yogin, celui-ci devient l'égal d'un dieu.

 

[88] La perte du sperme (du bindu) conduit à la mort. Sa rétention mène à la vie. C'est pourquoi il faut s'efforcer de retenir le sperme.

 

[89] Tout en ce monde naît et meurt du bindu. Le yogin qui sait cela doit donc conserver sa semence.

 

[90] Par cette pratique du contrôle séminal, même celui qui s'adonne aux jouissances du monde pourra atteindre la réalisation et tout obtenir ici-bas.

 

[91] Ceux qui sont la proie de l'illusion, de la décrépitude et de la mort peuvent surmonter sans peine le plaisir et la douleur en contrôlant le fluide séminal (bindu).

 

[92] Cette forme de yoga s'avère très bénéfique pour ceux qui s'y conforment. Même les êtres engagés dans une vie mondaine de plaisirs pourront obtenir un plein succès s'ils parviennent à un tel contrôle.

 

[93] Le pouvoir advient dans cette vie même quand la pratique est réalisée au bon moment. Ce yoga constitue véritablement la fin du labeur de toute une vie terrestre.

 

[94] Grâce à elle, le yogin acquiert très vite tous les pouvoirs occules et baigne dans une joie infinie. D'où la nécessité d'une pratique régulière.

 

[95] Il existe deux autres variétés de vajrolī, nommées sahajolī et amarolī. Dans tous les cas, le yogin doit éviter de perdre son sperme.

 

[96] Si le sperme est émis par mégarde et que l'union des fluides lunaire et solaire se produit, il faut alors aspirer par le pénis les semences qui se sont unies. Il s'agit de amarolī.

 

[97] Quand, par yoni mudrā, le yogin est capable d'arrêter ce bindu qui commence à se mouvoir, c'est alors sahajolī, un procédé très secret consigné dans les Tantra.

 

[98]. Seule la dénomination différencie sahajolī et amarolī. En réalité, il s'agit de la même chose. Ils peuvent être utilisés indifféremment par le yogin, mais chacun avec grande attention.

 

[99] Nous avons décrit cette forme de yoga en raison de notre immense affection à l'égard de nos dévots. Mais c'est un secret qu'il ne faut pas divulguer à tout le monde.

 

[100] Il n'existe rien de plus confidentiel que ces pratiques, aussi bien par le passé que pour le futur. Donc le yogin les tiendra secrètes.

 

[101-102] Après une profonde inspiration, celui qui sait retenir l'émission de l'urine (mūtra) en la tirant petit à petit vers l'arrière, celui-là, par un pratique journalière et selon les directives de son guru, pourra aussi parvenir à une complète maîtrise de son fluide séminal. Il obtiendra ainsi tous les pouvoirs magiques souhaités.

 

[103] Pratiqué pendant six mois sous la direction du guru, cet exercice permet de ne plus laisser échapper son sperme et de le gaspiller, même si l'on besogne cent femmes !

 

[104] Ainsi, on peut trouver la clef du contrôle séminal (du bindu). Existe-t-il une meilleure réussite en ce monde ? C'est grâce à ma propre divinité qu'une aussi merveilleuse maîtrise est réalisable.

 

[105] Que le yogin réveille la kuṇḍalī endormie dans le lotus de la base (ādhārakamala ou mūlādhāra) et l'incite à monter en insufflant en elle l'énergie de l'air apāna (en la tirant vers le haut par l'expir). Cette mudrā se nomme śakticālana,"la mise en branle de l'énergie." Elle confert tous les pouvoirs.

 

[106] Celui qui s'exerce chaque jour à śakticālana est capable de vaincre toutes les maladies et augmente ainsi son espoir de vie.

 

[107] Ensuite le serpent (kuṇḍalinī) sort de son sommeil et commence son ascension. Mais pour ce faire, il faut que le yogin pratique avec ferveur s'il désire se libérer et obtenir les pouvoirs.

 

[108] Celui qui s'exerce quotidiennement à cette śakticālana  mudrā qui rend le corps parfait et confère les pouvoirs occultes, celui-là ne craint plus la mort quand il se conforme aux directives de son guru.

 

[109] Même si śakticālana  mudrā est seulement pratiquée avec application pendant deux muhūrta (c.à.d. deux fois 48 minutes), le pouvoir sera donné au yogin. Cependant, il devra maintenir parfaitement la posture assise appropriée (yuktāsana).

 

[110] Ces dix mudrā sont incomparables. Elles n'ont jamais été divulguées et ne le seront jamais. La pratique d'une seule d'entre elles assure un plein succès et tous les pouvoirs.


 

Chapitre V

 

[1] La déesse (Pārvati) prit ensuite la parole : Toi Īśāna, Sarikara (c.à.d Śiva), dis-moi quels sont les obstacles que rencontrent les êtres sur le chemin de la paix suprême ?

 

[2] Srī Iśvara (Śiva) répondit : écoute bien Devi ! Je vais décrire tous les obstacles qui s'opposent à la délivrance (muktf). Le pire d'entre eux pour l'espèce humaine, c'est la jouissance (bhoga).

 

[3-4-5] Les femmes, les sièges et les lits douillets, les beaux habits, les richesses, autant de choses trompeuses ! Les chiques de bétel, l'excès de nourriture, les beaux carrosses, les grandes fortunes, le pouvoir, la possession de stocks d'or, de cuivre, d'argent, de pierres précieuses, de parfums, de troupeaux de bovins ; l'étalage de ses connaissances concernant les textes védiques, le talent pour la danse ou la musique vocale ou instrumentale, la flûte, le luth la vina,  le tambour ; l'adresse dans la monte des éléphants et des chevaux, l'attachement à sa femme et à ses enfants, tout cela doit être considéré comme un obstacle.

 

[6] Les obstacles décrits ci-dessus s'apparentent à la jouissance égoïste. Mais il en existe d'autres qui se cachent sous le masque des vertus (dharmarūpa : l'apparence de la loi juste).

 

[7-8-9] Les bains rituels, les prières, la réception des hôtes, les oblations au feu (homa), les réunions entre amis, l'observance scrupuleuse des jeûnes, des moments de silence, la rétraction des sens, la méditation et la récitation des mantra, les dons pour obtenir une certaine notoriété ; les projets pour construire des plans d'eau, des citernes, des palais, des jardins ; les recours aux sacrifices (yajña), la pratique des austérités tel le cāndrāyana (jeûne réglé selon les phases lunaires), les pèlerinages..., tout cela aussi peut être détourné et considéré comme un obstacle déguisé en actes vertueux (dharmarūpa).

 

[10-11] Maintenant, nous parlerons des obstacles concernant les erreurs et les fausses interprétations ; par exemple : pratiquer gomukha ou autres asāna sans s'être astreint aux préliminaires de purification tel dhauti (les six dhautikarman : cf. Gheranda sam/i/fâ.1.13-44), à la rétraction des sens (pratyāhāra) ; ou encore essayer d'activer les circuits énergétiques (nāḍī) par des moyens extérieurs et artificiels, ou bien provoquer des remous d'entrailles avec des lavements au lait.

 

[12] A présent, examinons ce qui est bénéfique pour les nāḍī. Il faut faire une légère incision sous la luette puis masser longtemps avec la sève des dhātu, c'est-à-dire la salive (dhātu rasa).

 

[13] Enfin, comment parvenir au samādhi dans le simple temps d'une vie ? On doit rester au contact des hommes de haute vertu (les sādhu) et s'éloigner des mauvaises gens. Il faut aussi faire très attention à l'entrée et à la sortie de l'air, c'est-à-dire à l'inspir et à l'expir, et toujours selon les directives du guru.

 

[14] Dans l'enveloppe corporelle, ce qui demeure sous l'aspect de la beauté est, en réalité, une beauté informelle : le brahman. Quand l'esprit (hṛdaya : le cœur) en est imprégné, il l'envahit (c'est l'état de samādhi).

 

[15] Voilà donc les obstacles qui apparaissent quand persiste l'ignorance (ajñāna).

 

[16] Les quatre formes de yoga ont pour noms : mantra yoga, hatha yoga, laya yoga et raja yoga. Seul le dernier peut vaincre l'illusion de la dualité.

 

[17] Les yogin sont également de quatre sortes : les plus communs, les moyens, les bons et les excellents. Bien entendu, les derniers sont les seuls ayant la capacité de traverser sans encombre les contingences du monde de la dualité.

 

[18-19-20] Indolence, ignorance invétérée, maladie, rejet par le guru, cupidité, mauvaises intentions, gloutonnerie, fréquentation des femmes, instabilité, tristesse, faiblesse, dépendance, cruauté, négligence vestimentaire et malpropreté, mollesse, telles sont les tares caractérisant le yogin le plus ordinaire. Il lui faudra beaucoup de travail et au moins douze ans pour parvenir à quelque résultat. Néanmoins, bien instruits par un guru, ces personnages sont uniquement destinés à la pratique du mantra yoga.

 

[21-22]  Intellect (buddhi) calme, clémence, bienveillance, parole agréable, équanimité et absence de doute, telles sont les qualités des yogin moyens auxquels le guru enseignera alors la voie du laya yoga.

 

[23-24-25] Un intellect inébranlable, une pratique sérieuse du laya yoga, une confiance en soi, une belle énergie virile, une large ouverture de vue, la compassion, l'indulgence, les paroles de vérité, le courage, la pratique enthousiaste du laya yoga, la dévotion au guru, l'exercice continu du yoga, toutes ces qualités concernent le type même  du yogin doué. Le guru lui enseignera alors le hatha yoga. En le pratiquant avec ferveur, il atteindra le but en moins de six ans.

 

[26-27-28-29-30] Doué d'une immense énergie virile et d'un grand enthousiasme, imposant, audacieux, savant, studieux, détaché des mondanités, impassible, plein de vigueur, frugal, maître de ses sens, bien vêtu, sans peur, très actif, accueillant et cependant imposant le respect, bienveillant, constant, intelligent, sûr de lui, protecteur, généreux, noble et juste, procurant le bonheur, poli et paisible, parfaitement honnête ; dévoué aux divinités et à son guru, fuyant les réunions de foule, insensible à toutes contagions et maladies, confiant et respectueux de ses engagements, fervent praticien du yoga,le yogin doté de ces superbes qualités, hors du commun, atteindra le but en moins de trois ans.

 

[31] De tels êtres surdoués sont aptes à toute forme de yoga. Envers eux, aucune suspicion, aucune nécessité de surveillance à leur égard !

 

[32] Pour obtenir un résultat il faut être en mesure de percevoir le passé et le futur (dṛstādṛsta : ce qui est visible et non visible). Une telle contemplation dans ces deux périodes du temps apporte donc la vision simultanée du passé et de l'avenir. Cette introspection sur son propre passé et son futur est très édifiante.

 

[33] Lorsque l'on concentre le regard sur sa propre ombre projetée par un soleil ardent et qu'ensuite on lève les yeux vers l'horizon, on voit alors son image reflétée dans le ciel.

 

[34] Celui qui, chaque jour, peut voir sa propre réflexion déployée dans le ciel est assuré d'une grande longévité et réussit à vaincre la mort.

 

[35] Quand on voit cette image projetée dans le firmament (nabho-arigana), c'est que l'on a triomphé de l'élément air (vāyu) et l'on sait alors qu'il est possible de voler dans le ciel.

 

[36] Si l'on maîtrise cette pratique qui consite à voir sa propre image, on obtient toutes les grâces de l'Etre Suprême (puruṣa).

 

[37] Cette discipline de l'image holographique peut-être pratiquée à tout moment ; en voyage, pendant les cérémonies, les mariages ou à l'occasion des augures, aussi bien que dans les périodes malheureuses. C'est le moyen idéal de réduire le mal et d'accroître le bien-être.

 

[38] Par une pratique assidue, le yogin parvient à voir cette image fixée au-dedans de lui. Il s'ensuit une forte concentration du mental qui, à la fin, conduit à la délivrance du conditionnement (muktī).

 

[39-40] Le yogin doit d'abord boucher ses oreilles à l'aide des deux pouces, puis les yeux avec les index, les narines avec les majeurs, et presser les annulaires sur la bouche ; ensuite, il bloquera son souffle et le retiendra longuement. Ainsi il pourra reconnaître son propre ātman sous forme de lumière irradiante (jyotirupa).

 

[4l] Celui qui voit cette lumière ne serait-ce qu'un court instant, et avec des yeux dessillés, efface toutes ses fautes accumulées et atteint l'état suprême (parama).

 

[42] Le yogin qui pratique cette ascèse longtemps efface ainsi tous ses péchés et transcende toutes les formes d'existence manifestée : enfin, il gagne la réalisation de son Etre même.

 

[43] Pratiquée dans le secret, cette discipline mène le yogin à l'ultime immersion dans le brahman, la Toute-Conscience et en dépit de son mauvais karma.

 

[44] Quand on s'investit secrètement dans cette expérience, le résultat est immédiat. Chère bien-aimée (Pārvati), ce yoga mène au nirvana, dès ce monde.

 

[45-46-47] Cette discipline génère l'audition des différentes modulations du son originel (nāda). Le yogin perçoit d'abord une sorte de bourdonnement tel celui d'une grosse abeille noire enivrée de nectar ; puis le son d'une flûte ; puis celui d'un luth vîna ; celui d'une cloche qui est censée dissiper l'illusion de la dualité du saṃsāra ; enfin le grondement du tonnerre (megharava). Si, malgré ces interférences auditives, le yogin reste fermement concentré, il s'absorbera dans le Suprême, ô ma bien-aimée.

 

[48] Quand la substance mentale (citta) est envahie par la vibration cosmique primordiale (nāda), on n'est plus conscient du monde extérieur car le mental s'est alors fondu dans la sonorité.

 

[49 Le résultat, pour le yogin, est la libération de l'asservissement aux trois fonctions de la Manifestation, les guna ; pour lui, le cycle des naissances et des morts n'existe plus et il atteint le vide de la Toute-Conscience (citākāśa).

 

[50] Il n'y a aucune posture qui puisse égaler siddhāsana, aucune force capable de surpasser celle de kumbhaka, la rétention du souffle ; aucun "geste" plus puissant que khecari mudrā, et aucun yoga de dissolution Layā) plus efficient que celui du son (nāda).

 

[51] Maintenant nous allons décrire la bonne méthode qui permettra au sādhaka de s'extraire des contingences du monde. Quand il connaît cette discipline, il gagne la capacité d'obtenir la libération, en dépit de ses fautes passées.

 

[52-53-54-55] Le yogin avisé débutera dans ce yoga merveilleux en rendant d'abord grâce au seigneur Iśvara ; puis, sur les instructions du guru, et après s'être assis dans la posture et avoir calmé les agitations de son intellect et de son mental, il suivra ses directives. Ces instructions seront suivies à la lettre, mais seulement après avoir contenté le guru par sa ferveur et lui avoir offert des présents et du bétail. Il devra aussi faire une oblation aux nobles brahmanes avant d'entrer dans le temple, et dans un environnement de bon augure ; accepter les enseignements de son guru en s'étant, comme il convient, libéré des sollicitations des sens et en ayant acquis une grande pureté physique dans le but d'accéder au yoga.

 

[56] Ensuite, le yogin s'assoira dans la posture padmāsana, en un lieu solitaire, et fermera ses narines (m.à.m : bloquera les deux nāḍī) avec les doigts pour emprisonner (nirodhayet) le souffle.

 

[57] Cette maîtrise du contrôle respiratoire conduit à la vision de la Claire Lumière. Pour obtenir ce pouvoir, il faut travailler dur !

 

[58] Pour celui qui s'exerce à cette discipline avec assiduité, le succès n'est pas lointain. Il est certain de dominer son souffle (vāyu), petit à petit.

 

[59] S'il demeure un bon praticien, le yogin verra s'évanouir la totalité de ses péchés. Il devient apte, désormais, à diriger l'énergie vitale de l'air dans la voie du milieu (c.à.d suṣumnā).

 

[60] Ce yogin-là est honoré par les forces divines elles-mêmes (deva). Dès lors, possesseur des grands pouvoirs magiques, comme devenir infiniment petit (anima, etc.), il est capable de naviguer à son aise dans les trois mondes.

 

[6l] Lorsque le contrôle du souffle est réalisé, tout l'organisme (vigraha) en bénéficie à son tour. Quand il a acquis ce pouvoir, le yogin peut pratiquer l'exercice à sa guise.

 

[62] Ce yoga est le plus confidentiel ; il ne doit pas être divulgué à tout le monde. Seuls ceux qui sont spécialement qualifiés pour le recevoir y auront accès.

 

[63] Si le yogin, assis en padmāsana, se concentre sur la cavité de la gorge, en ayant pris soin de retourner sa langue contre le fond de la voûte palatale (tālumūla), ni la faim, ni la soif ne l'atteindront.

 

[64]  En-dessous de cette cavité de la gorge se situe la ligne d'énergie appelée kurma nāḍī. C'est en se concentrant en ce point que le yogin stabilise son mental.

 

[65] Quand on se concentre sur l'oeil de Rudra (rudrākṣi) au centre du front, un flash de lumière jaillit, émanant de lui-même : c'est la lumière de la Conscience, prakāśa.

 

[66] Grâce à une telle concentration, toutes les fautes commises s'effacent et, même un pécheur peut atteindre le but.

 

[67] Le yogin avisé qui, jour et nuit, se concentre de la sorte, obtient la vision des grands Maîtres Siddha et peut converser avec eux.

 

[68] Contemplant jour et nuit le vide vibrant de la Toute-Conscience (citākāśa), qu'il soit assis, qu'il marche, en dormant ou en mangeant, il assume en tout temps sa forme céleste, confondue avec son espace mental en expansion.

 

[69] Forts de ces connaissances, les yogin qui souhaitent maîtriser le yoga doivent s'y adonner constamment. A coup sûr, une pratique sans relâche les mènera à devenir tels que Moi.

 

[70] En possédant cette connaissance, le yogin se fait aimer de tous. Il est désormais sans attachement, car il a su triompher de tous les éléments, de tout ce qui a une existence conditionnée (bhūtā) et méprise toutes les choses futiles de ce monde.

 

[7l] Assis en padmāsana, celui qui fixe son regard sur la pointe du nez parvient à faire mourir le mental. C'est ainsi qu'il atteint le stade nommé khecara (voyage dans le kha), vacuité de la Conscience.

 

[72] Le grand yogin voit alors le plus pur de la Claire Lumière (jyotis). Après une longue pratique, il devient lui-même son propre protecteur.

 

[73] Le yogin avisé qui se couche à plat sur le sol et se concentre quelque temps se libère de toute faiblesse et décrépitude. Quand il se concentre avec intensité sur l'arrière de la tête, il peut vaincre la mort.

 

[75-76] La nourriture se diffuse dans le corps selon quatre processus et subit une transformation sur trois plans. Le meilleur des substances ingérées nourrit d'abord le corps psychique. Ensuite, par le métabolisme, ces substances enrichissent et soutiennent les sept constituants corporels (dhātu). Enfin, l'élimination des déchets résiduels s'opère par la fonction urinaire, l'exonération et les divers modes d'excrétion.

 

[77] Les deux premiers processus servent à sustenter les canaux d'énergie psychique et physique (nāḍī), tout comme l'air et les souffles (vāyu) circulant dans le corps, de la tête jusqu'aux pieds.

 

[78] Quand l'énergie de l'air circule aisément dans les nāḍī, on ne constate aucun excès de lymphe (rasa) dans le corps. Tout fonctionne normalement.

 

[79] Les quatorze lignes d'énergie (nāḍī) mentionnées dans ce traité (11-13-15) sont essentielles. Elles gouvernent les fonctions sensorielles et sont les canaux où circule l'énergie vitale (prāna) qui maintient l'activité de la conscience.

 

[80-81-82] A 3,74 cm (2 aṅgula) au-dessus de l'anus et à 1,87 cm (1 aṅgula) sous le sexe, se trouve un espace composite (le périnée). A cet endroit, situé à l'arrière de la zone pelvienne, se place kuṇḍalī, enroulée 3 fois 1/2 autour de la racine des nāḍī. Tel un serpent lové, la queue dans sa bouche, elle repose et ferme l'entrée de la voie centrale, la nāḍī suṣumnā.

 

[83] Elle sommeille là, vibrant dans sa propre lumière. Elle est la gardienne du point de jonction où réside le "germe de la parole" (bījasaṃjñāka, c'est à dire la mātṛkā).

[84] Elle brille ici-même, telle une fleur rosée de bandhūka ; c'est le germe de l'Amour (kāmabīja). Le yoga décrit ce lieu comme objet d'or très doux et l'appelle akṣara, l'Inaltérable (akṣara = Om).

 

[85-86] Ce bīja, encerclé par la nāḍī suṣumnā, est fixé en cet endroit privilégié ; il scintille et irradie comme la lumière d'une lune d'automne ; brillant à l'instar de dix millions de soleils et de lunes réunis. Ces trois, soleil, lune et bīja, forment la déesse Tripura-Bhairavī (c'est à dire Durgā, présidant aux trois mondes).

 

[87] Cette grande lumière est décrite comme étant l'essence même du bīja (bījasaṃjñā). Elle agit de concert avec les forces motrices d'action et la Connaissance.

 

[88] Elle parcourt le corps de haut en bas et se présente sous l'aspect d'un fin rayon rouge très subtil ; son lieu d'élection est le pelvis, tout proche du sexe. Elle est totalement autonome (svayambhū).

 

[89] Ici se trouve le centre de base (mūlādhara). Ce lotus réside au niveau du sacrum et compte quatre pétales avec quatre lettres diversement colorées, commençant par va et finissant par sa : va-śa-ṣa-sa, il est d'une beauté étincelante.

 

[90] A l'orée de ce lieu couleur d'or réside le Suprême Śiva sous son aspect d'organe procréateur, le svayambhū liṅga. Le mot magique pour sa maîtrise est en effet dviraṇḍa (autre nom de Śiva). La déité qui y préside est Dākinī (c.à.d. la force de la Śakti).

 

[91] Au centre du lotus se tient la kuṇḍalinī, dotée de l'éclat du germe séminal kāmabīja.

 

[92] Le sage qui effectue la contemplation (dhyāna) de mūlādhara obtient vite le pouvoir appelé dārdurī (à l'instar de la grenouille) ; petit à petit il peut léviter.

 

[93] Il se pare d'un beau rayonnement corporel ; son feu digestif est attisé ; il devient insensible aux maladies, plus intelligent et efficace.

 

[94] Passé, présent et avenir lui sont dévoilés ainsi que toutes les origines causales, et les arcanes des Ecritures (śāstra) lui sont révélés.

 

[95] Sarasvatī, la déesse de la Parole, mesure toujours ses mots avec justesse. Comme elle, le yogin a le pouvoir de rendre efficients les mantra qu'il prononce.

 

[96] La méditation sur mūlādhara fait disparaître la décrépitude et la mort ainsi que l'accumulation des fautes. La parole du guru a le même effet.

 

[97] On pratiquera cette méditation (dhyāna) après l'exercice de contrôle du souffle. Grâce à elle, les grands yogin sont libérés de tous leurs péchés (kilviṣa).

 

[98] Quand le yogin médite sur svayambhū liṅga (image de Śiva) dans le lotus de la base, ses fautes s'évanouissent aussitôt.

 

[99] Tout ce qu'émet sa substance mentale (citta) désormais porte fruit. Par sa pratique inlassable il chemine sur la voie de la délivrance (mukti).

 

[100] Il est donc nécessaire de travailler avec et sur le corps et l'esprit. Nous pensons que cette voie est la meilleure. Il n'en existe aucune autre !

 

[101] Celui qui ignore la présence de l'ātman, de Śiva dans son propre corps et la cherche à l'extérieur de lui ressemble à l'homme qui, en errant alentour pour trouver sa pitance, est en quête de la bouchée de nourriture qu'il tient déjà dans la main.

 

[102] L'homme qui constamment vénère l'ātman en lui-même, jour après jour, obtient très vite tous les pouvoirs magiques. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

 

[103] Si la pratique est assidue pendant six mois, le succès est assuré. L'énergie vitale de l'air (vāyu) pénètre réellement en suṣumnā nāḍī.

 

[104] Enfin le yogin peut maîtriser son mental (manas) et contrôler l'élément air (vāyu) et l'émission du sperme (bindu). Sans aucun doute, il détient le pouvoir dans ce monde et dans l'autre.

 

[105] Le second lotus est situé à la racine de l'organe sexuel (liṅga) et possède six pétales marqués des lettres allant de ba à la (ba-bha-ma-ya-ra-la).

 

[106] On l'appelle svādhiṣṭhāna. Il est de couleur rouge-sang. Son pouvoir est celui de la force juvénile bāla et la Śakti Rākini y préside.

 

[107] Celui qui médite sur svādhiṣṭhāna est ensuite très recherché par les demoiselles en mal d'amour.

 

[108] Il hérite spontanément de la connaissance de tous les śāstra, sans les avoir jamais étudiés. Il ne souffre d'aucun mal et, sans souci, il se meut dans le monde en toute aise.

 

[109-110] Un tel yogin a vaincu la mort et personne ne peut le dominer. Tous les grands pouvoirs supranormaux lui sont acquis. L'énergie de l'air circule parfaitement dans son corps ; sa vitalité ne cesse de s'accroître et le nectar d'immortalité coule à flots du lotus terminal (sahasrāra).

 

[111] Le troisième lotus, localisé près du nombril se nomme manipūra. Il possède dix pétales de couleur d'or, marqués des lettres commençant par da et finissant par pha (da-dha-na-ta-tha -da-dha-na-pa-pha).

 

[112] Son protecteur est Rudra (euphémisme de Śiva) et la Śakti Lakinī y préside, parée des plus hautes vertus.

 

[113] Le yogin qui médite sur manipūra se rend maître des mondes souterrains (pātāla). Le bonheur ne le quitte plus.

 

[114-115] Tout ce qu'il désire sur cette terre, il l'obtient ! Insensible à la dégradation et aux maladies, il peut pénétrer dans un autre corps par un "transfert du temps". Il est même capable de transmuter les métaux en or, de découvrir des plantes rares et des trésors ; de rencontrer des êtres supérieurs.

 

[116] Le quatrième lotus, anāhata, se trouve près du cœur. Il possède douze pétales, marqués des lettres allant de ka à ṭha (ka-kha-ga-gha-ṅa-ca -cha -ja-jha-ña-ṭa-ṭha). De couleur rouge intense, il contient le bīja de l'air (vāyubīja) et projette le bonheur alentour.

 

[117] Une chaleur émane de l'intérieur ; l'endocarpe contient le bānaliṅga. Le yogin qui médite sur ce lotus gagne immédiatement le discernement des choses, visibles ou invisbles. Son mot-clef est pinākī et la Sakti Kākinī préside en ces lieux.

 

[118] Celui qui médite sur ce lotus attire toutes les jeunes femmes qui ont des peines d'amour, même les déités célestes.

 

[119] Il devient une véritable incarnation du savoir et connaît tout ce qui concerne le passé, le présent et l'avenir. Il perçoit les sons inaudibles, voit l'invisible et peut se mouvoir à volonté dans les airs.

 

[120] Ce pouvoir de lévitation et de vol dans l'espace (khecarī siddhī) lui permet de diriger à son gré l'ensemble des créatures volantes. Il peut aussi converser à loisir avec les grands maîtres yogin du passé.

 

[121] Quiconque médite sur l'inégalable bānaliṅga conquiert à la fois les deux pouvoirs, celui de se mouvoir dans le ciel et celui de parcourir librement l'espace terrestre, khecarī et bhūcarī.

 

[122] Aucun besoin d'adresser plus de louange pour ce genre de méditation ! Brahmâ et les autres divinités conservent le secret.

 

[123] Le cinquième lotus, situé dans la gorge, se nomme viśuddha. Il a seize pétales couleur de fumée et marqués des seize voyelles de a à aḥ (a-ā-i-ī-u-ū-ṛ-ṝ-ḷi-ḹi-e-ai-o-au-aṃ-aḥ).

 

[124] Celui qui médite sur ce lotus est un véritable yogin. Il a saisi le mot-clef : chagalâṇḍa (Śiva à la gorge bleue qui détruit le poison de la dualité). La déité qui y préside est la Sakti Sākinī (Durga).

 

[125] Pour le yogin qui a obtenu la maîtrise de viśuddha, quel besoin d'être en quête d'une autre source de connaissance ? Les quatre Veda lui sont révélés avec leurs mystères, ainsi que les trésors de Kubera (Nidheriva - dieu des richesses du Nord et des enfers).

 

[126] Même si les yogin ressentent quelque déplaisir à rester assis dans un lieu retiré, les trois mondes en frissonneront, sans doute aucun !

 

[127] Quand le mental (manas) s'absorbe en viśuddha, le yogin demeure dans la félicité intérieure et oublie le monde extérieur.

 

[128] Pendant ce temps, son corps ne subit pas la dégradation. Il devient aussi puissant que la foudre et peut résister ainsi pendant mille ans !

 

[129] Quand sa méditation s'achève, le grand yogin constate que mille années sur cette terre ne correspondent qu'à un très court instant !

 

[130] Le lotus appelé ājña est localisé entre les deux sourcils. Il possède deux pétales marqués des lettres ha et kṣa son mot-clef est śukla (blancheur immaculée), l'éternité. La déité qui y préside est la Sakti Hākinī.

 

[131] Ici réside le germe (bīja) de l'immortalité qui étincelle, telle une lune d'automne. C'est l'Etre même, le grand cygne blanc, paramahamsa. Quand on le connaît, toutes les souffrances sont définitivement abolies.

 

[132] Dans les Tantra, ce bīja est considéré comme une puissance suprême. Quand on le contemple, tous les succès sont assurés.

 

[133] Le quatrième état (turīya, transcendant les états de conscience ordinaires) est l'aboutissement de la contemplation des trois liṅga (svayambhū, bāṇa, itara). Il apporte la délivrance (mukti), car le maître yogin qui l'expérimente devient dès lors, semblable à Moi (Śiva).

 

[134] Les deux lignes d'énergie, īḍā et piṅgalā, sont comparées aux rivières Varuna et Asī, au confluent desquelles se trouve Vārānasi (Bénares), le siège de Viśvanātha (l'omniprésent Śiva).

 

[135] La sainteté de ce lieu (Bénares) a été évoquée dans de nombreux sâstra, et également par les sages et les érudits, avec grande éloquence.

 

[136] La ligne d'énergie centrale, la suṣumnā, suit la colonne du Meru où se loge le brahmarandra (la porte du brahman, lotus aux cent pétales). Là, entourant, sur la droite, le lotus ājña, la ligne d'énergie appelée Gaṅgā ou īḍā rejoint la narine gauche.

 

[137] Enchâssant la fente du brahman, le lotus aux mille pétales, sahasrāra, y est encastré ; à sa base se trouve une cavité. Là réside la lune.

 

[138] Dans le triangle (trikoṇa, lieu du praṇava Aum), la lune, sans cesse, distille le nectar d'immortalité (amṛta) qui s'écoule par īḍā.

 

[139] L'amṛta s'écoule en un flot continu qui, passant par la narine gauche, se déverse en īḍā nāḍī. Les yogin la nomment Gaṅgā (la déesse Gange).

 

[140] Le sommet à īḍā encercle le lotus ājña sur sa droite. On appelle ce lieu d'émergence varanā (une rivière).

 

[141] Les deux nāḍī (īḍā et piṅgalā), tout comme la cité de Vārānasi, seront visualisées en ce point.

 

[142] De même, la nāḍī piṅgalā encercle le lotus ājña sur la gauche et gagne la narine droite. On l'apparente à la rivière Asī.

 

[143] A l'intérieur du lotus de la base mūlādhara, qui a quatre pétales, il existe une cavité (yoni) où réside le soleil (sūrya).

 

[144] De ce cercle solaire suinte en permanence le poison (viṣa) des passions. La chaleur qu'il génère naturellement corrompt la nāḍī piṅgalā.

 

[145] Comme nous l'avons dit, ce poison monte sans cesse et s'écoule par la narine droite.

 

[146] Entourant le lotus âjnâ à partir de la gauche et faisant le détour par la narine droite, ce point haut de piṅgalā a été appelé la rivière Asī.

 

[147] Le lotus ājñāpura est, comme nous l'avons déjà précisé, le siège du dieu souverain Maheśvara ; il est localisé au centre du front. Les Maîtres à penser du yoga ont visualisé trois sites au-dessus de lui, où siègent le sujet (bindu), le son (nāda) et la force (śaktî).

 

[148] Celui qui, en secret, médite régulièrement sur le lotus ājñā, élimine sans peine le karma qu'il a accumulé dans ses vies antérieures !

 

[149] Si, par une pratique constante, le yogin parvient à s'établir en toute stabilité dans cette méditation, il transcende la dualité. Désormais il s'abstrait de la causalité et de ses apparences mondaines.

 

[150] Les êtres des mondes inférieurs yakṣa (assistants de Kubera), les entités tracassières de la nuit rakṣasa, les musiciens célestes de la cour d'Indra Gandharva, les danseuses célestes apsāras, les êtres mi-homme-mi-animal kinnara, toutes ces entités le vénèrent et lui obéissent.

 

[151-152] A l'arrière de la voûte du palais, au-dessus de la luette lambikâ ou tālu) se trouve l'ouverture des sinus. Quand le yogin retourne la langue et la maintient en cet endroit pendant sa méditation, même durant peu de temps, tous ses péchés accumulés s'effacent.

 

[153] Tous les fruits que nous avons promis au sujet des cinq autres lotus peuvent être obtenus plus rapidement quand on connait ājñā.

 

[154] Si l'on pratique régulièrement la méditation sur le lotus ājñā, on se libère des pièges et des traces subconscientes (vāsanā) et on vit dans le bonheur.

 

[155] A l'heure où le souffle vital (prāna) s'éteint (c.à.d la mort), celui qui se concentre sur ce lotus pénètre dans le Suprême (parama).

 

[156] L'homme qui toujours médite sur ājñā, assis, en dormant, en état de veille ou en marchant, ne sera jamais corrompu par des actes mauvais. C'est un yogin qui, grâce à ses efforts personnels, peut se réaliser en transcendant la mort et l'illusion.

 

[157] Il est impossible de décrire tous les bienfaits que procure la méditation sur ce lotus à deux pétales ! Même Brahmâ et les autres déités ne sont capables de comprendre le moindre mot que j'ai prononcé à ce sujet.

 

[158] Bien au-dessus de la racine de tālu (la luette) est enchâssé sahasrāra, le lotus aux mille pétales. C'est le point terminal de la suṣumnā nāḍī.

 

[159] La ligne d'énergie médiane suṣumnā s'arrête au-dessus de la racine de la luette (tālu). Directement reliée à mūlādhara cakra, elle sert de support à toutes les autres nāḍī et elle dirige le bīja de la perception cérébrale par le canal appelé "voie de brahmâ" (brahmāmārga).

 

[160] Le lotus aux mille pétales, sahasrāra, est situé au-dessus de la luette (tālu) ; il possède une petite cavité (yoni) sur un côté de ses étamines.

 

[16l] La suṣumnā qui monte de la racine (mūlādhara) et traverse la fente du brahman (brahmarandhra) s'ouvre justement à l'intérieur de cette cavité.

 

[162] Dans cette ouverture réside le propre pouvoir de la suṣumnā, c'est à dire kuṇḍalī. On nomme cette force śakticitrā. Chère bien-aimée (vallabhā Pārvatī), il est donc souhaitable de méditer sur ce brahmarandhra.

 

[163] Cette méditation confère la connaissance du Soi, le suprême brahman (brahmajñatva). Tous les péchés sont alors effacés et l'homme ne renaît plus.

 

[164] Si l'on place son gros orteil dans la bouche et qu'on l'y maintient, cela permet de stopper l'irruption de l'air (samīraṇa) dans le corps !

 

[165] C'est justement ce mouvement de l'air qui provoque le pouvoir de faire durer le cycle des naissances et des morts (saṃsāra). Telle est la raison pour laquelle les yogin s'astreignent au contrôle du souffle vital (prāna).

 

[166] Quand on inverse l'écoulement de l'air dans les nāḍī entourant suṣumnā, la kuṇḍalinī libère l'entrée du brahmarandhra.

 

[167] Mais lorsque la circulation de l'air (anila) est bloquée, celui-ci ne peut pénétrer dans aucune nāḍī; donc la kuṇḍalinī se retire de l'entrée du brahmarandhra.

 

[168] L'énergie vitale de l'air (prāna) pénètre librement en suṣumnā nāḍī. Sur les deux autres côtés, à gauche et à droite de mūlādhara, sont situées respectivement les lignes d'énergie īḍā et piṅgalā; suṣumnā est au centre.

 

[169] A partir de mūlādhara, la suṣumnā s'élève jusqu'à la fente du brahman (brahmarandhra). Celui qui possède ce savoir est un être avisé et il sera très vite délivré des liens de son karma.

 

[170] C'est à la bouche du brahmarandhra que se situe la confluence des trois nāḍī principales. Ceux qui méditent sur cet emplacement sont assurément libérés.

 

[171] Pareillement, lorsqu'on se baigne au confluent des trois rivières, Gaṅgā, Yamunā et Sarasvatī, on peut atteindre le stade suprême en ce lieu privilégié.

 

[172] Gaṅgā représente īḍā, Yamunā est piṅgalā et entre les deux coule Sarasvatī. La confluence des trois est un endroit unique.

 

[173] Quand le mental s'immerge là où les eaux claires du Gange et les eaux sombres de la Yamunā se rejoignent, on est lavé de toute impureté et ainsi on avance vers l'éternel brahman, le Soi.

 

[174] Celui qui accomplit les rituels funéraires aux ancêtres (pitṛkarma) au confluent des trois rivières, triveni, aide ses aïeux à effacer leurs fautes et à atteindre l'état suprême.

 

[175] Tout en menant une vie ordinaire, celui qui a réussi à introduire dans son mental la réalité de cette confluence, verra ses actes et ses désirs devenir les fruits de ce nouveau karma.

 

[176] Le yogin qui, ne serait-ce qu'une seule fois, saisit la chance de ce bain psychique, jouit des joies célestes car ses péchés ont disparu et son mental est alors purifié.

 

[177] Que l'on soit parfait ou imparfait, et indépendamment de la situation dans laquelle on se trouve, si l'on a réalisé ce bain de jouvence, la pureté est totale.

 

[178] Il se trompe lourdement celui qui, en prenant son dernier souffle, croit que son corps sera noyé dans les eaux de la triveni. Au contraire, c'est à cet instant qu'il atteint l'émancipation (mokṣa).

 

[179] Rien n'est plus confidentiel que cela dans les trois mondes. Donc il faut le cacher et ne le divulguer à personne.

 

[180]. L'homme qui concentre son mental sur le brahmarandhra, même pour un court moment, efface ainsi toutes ses fautes et parvient au stade suprême.

 

[181] Le yogin dont le mental (manas) est concentré s'absorbe en Moi (Śiva). Il acquiert tous les pouvoirs magiques, tel anima, etc., et ensuite, délibérément, il atteint l'état suprême (puruṣottama).

 

[182] Celui qui a acquis la connaissance du brahmarandhra dès ce monde nous devient très cher. Un tel être triomphe de ses péchés. Il est déjà destiné à la délivrance ; il transmet la connaissance à autrui pour lui donner l'espoir et la certitude de pouvoir échapper à l'illusion du monde phénoménal.

 

[183] Les quatre représentations de Brahmâ et les autres déités n'ont jamais été initiées au mystère du brahmarandhra. Donc, ce que nous avons dévoilé à ce sujet devra rester un secret précieusement gardé par les meilleurs yogin.

 

[184] La cavité dont nous avons parlé plus haut et qui se trouve à l'intérieur du lotus aux mille pétales sahasrāra, contient la lune (candra) à sa base. Le yogin avisé méditera sur elle.

 

[185] Cette concentration donne au maître yogin le mérite et lui octroie le respect des divinités. Il devient l'égal des grands siddha.

 

[186] Il visualisera un immense lac de lait à l'intérieur de son crâne, au milieu duquel fleurit le lotus aux mille pétales, sahasrāra, avec la lune au-dedans de lui.

 

[187] Il devra visualiser la lune dans le fond du crâne, comme étant la "Claire Lumière", tel le cygne blanc (hamsa) et déversant le nectar d'immortalité (pīyūṣa), enrichi des seize énergies fragmentatrices ou phases lunaires (kalā. cf. tattva).

 

[188] Après une pratique continue, le yogin peut voir cette Claire Lumière dans les trois jours. Quand elle lui apparaît, tous ses péchés sont brûlés aussitôt.

 


 

[189-190] Le futur est soudain dévoilé, le mental purifié. Même si l'on s'est rendu coupable des cinq grands crimes (mahāpātaka : meurtre d'un brahmane, enivrement, vol, adultère avec la femme de son guru, association avec des criminels), tout est pardonné. Les entités célestes deviennent complaisantes, les obstacles s'effacent, tous les problèmes se trouvent résolus et les efforts accomplis sont couronnés de succès.

 

[191] Quand cette lune, qui est la "Claire Lumière", apparaît à l'intérieur de la tête et que l'on médite sur elle, tous les souhaits s'accomplissent ; on obtient le pouvoir de voler dans l'espace (khecarī) et celui de parcourir de grandes distances sur la terre (bhūcarī).

 

[192-193] C'est ainsi que, par la pratique régulière de ce yoga, l'on devient un siddha. Les textes ont décrit ce yoga comme l'un des meilleurs qui permet aux praticiens d'acquérir les pouvoirs supranormaux (siddhī). Celui qui le pratique, en vérité, devient semblable à Moi (Śiva).

 

[194-195] Plus haut s'épanouit, tel un lac immense, l'espace divin du sahasrāra. C'est au-delà de l'univers manifesté (l'œuf de brahmâ : brahmānda), mais pourtant dans le corps même que réside la clef de l'émancipation (mukti). On l'appelle le mont Kailāsa où demeure le grand Seigneur Maheśa, sans limite, resplendissant et omnipénétrant.

 

[196] Pour les hommes qui ont acquis la connaissance de ce lieu, il n'y a plus de retour dans le monde de la dualité (saṃsāra). Tous les êtres-subissant la loi du cycle des naissances et des morts peuvent obtenir les pouvoirs capables de neutraliser un tel destin grâce à ce yoga.

 

[197] Le yogin qui s'est concentré sur ce site nommé Kailāsa où réside le cygne blanc de la Connaissance (hamsa), devient apte à résoudre tous ses maux, à acquérir une grande longévité et même à vivre éternellement, car, dès lors, il a vaincu la mort.

 

[198]  Quand la substance mentale (citta) se fixe en ce point et s'immerge dans le Suprême parameśvara, le yogin s'immobilise et entre en samādhi.

 

[199] En poursuivant cette méditation, il perd la notion du monde phénoménal et acquiert des pouvoirs extraordinaires.

 

[200] Lorsque le yogin boit le nectar d'immortalité qui coule de la lune (par īḍā), il franchit l'obstacle de la mort et traverse cet immense lac (sahasrāra).

 

[201] C'est là que la kuṇḍalinī achève son oeuvre. Ici se terminent les quatre formes de naissances (c.à.d : végétale par exsudation, ovipare, vivipare et naissance "spirituelle") dans le Suprême paramātman.

 

[202] Après avoir atteint ce qu'il souhaitait, le yogin devient apte à faire cesser les agitations de son mental et de son psychisme (citta vṛtti). Il travaillera toujours avec zèle, et même avec opiniâtreté, dans ce but.

 

[203] Quand s'apaisent ces fluctuations mentales, la Claire Lumière lui est révélée sous forme de Connaissance (jñānarūpa).

 

[204] Comme nous l'avons dit plus haut, le yogin visualisera sa propre image hors de l'univers manifesté (brahmānda), dans ce grand vide (mahaśūnya) enveloppé de ténèbres, et il méditera dessus avec ardeur.

 

[205] Ce vide (śūnya) est infini, sans commencement ni fin ; il intègre la lumière de dix millions (koṭi) de soleils et de dix millions de lunes. Méditer sur lui apporte au yogin l'assurance du succès.

 

[206] Celui qui s'adonne avec persévérance à ce type de méditation, jour après jour, pourra, sans aucun doute, acquérir tous les pouvoirs magiques (siddhī).

 

[207-208] Le yogin dont le mental se fixe avec rigueur dans ce vide, même un court moment, devient mon fidèle dévot et, il sera respecté dans les trois mondes. L'ensemble de ses péchés sera rapidement effacé.

 

[209] Cette voie choisie, quand elle est suivie avec zèle, ne peut en aucun cas nous faire régresser vers le monde où domine la mort (mṛtyūsaṃsāra) ; donc, il est impératif de s'astreindre à une pratique sérieuse.

 

[210] Nul besoin d'insister sur l'importance de cette discipline, car l'adepte sait déjà qu'il peut devenir semblable à Moi.

 

[211] Cette méditation permet de réaliser immédiatement nombre de projets. Et il est certain que, grâce à elle, on jouit des pouvoirs supranormaux comme, par exemple anima, etc.

 

[212] Voilà donc décrit le raja yoga, le plus confidentiel parmi les Tantra. C'est vraiment le "roi" des yoga dont nous avons brièvement parlé.

 

[213] Cette méditation doit être entreprise après avoir respecté les instructions du guru. Il faut alors s'asseoir en posture svastikāsana, dans un temple agréable et peu fréquenté ou dans un endroit sacré.

 

[214] Selon les préceptes de Vedânta, il convient que le mental soit totalement libre, non encombré (nirālamba, m.à.m : sans appui). On ne doit jamais méditer si le mental n'est pas apaisé.

 

[215] C'est à cette condition expresse que la méditation donne des résultats positifs. En effet, moins le mental est encombré, plus le Soi (ātman) est susceptible de le pénétrer.

 

[216] Pour le yogin qui s'investit continuellement dans cette sorte de non-attachement, le mot "je" (aham) n'a plus aucun sens, car tout ce qui l'entoure est vu désormais comme étant le Soi, son propre ātman.

 

[217] Alors, où sont les liens, où est la libération ? Cela dépend de notre vision. Si le yogin parvient à se stabiliser dans cet état, sans aucun doute, il obtient l'émancipation (mukti).

 

[218] Lui seul est un véritable yogin, un vrai dévot, cher à tous. Car il a fait sienne l'idée que ātman et paramātman sont tous les deux le même "je" (aham - je suis), si bien que, pour lui, la dualité du Toi et du Moi n'existe plus.

 

[219] Quand les illusions se sont dissipées, le yogin détaché de toute objectivité, perçoit directement l'essence des choses (bīja -. la semence).

 

[220] En négligeant la réalité de l'instant présent, la béatitude de la Toute-Conscience (cidānanda) et la plénitude (pūrna), l'ignorant tente toujours de transformer l'irréalité du fantasme en réalité même (parokṣamaparokṣa).

 

[221] Par contre, celui qui découvre que le monde animé et inanimé est irréel et rejette ce rêve, s'immerge alors dans la Réalité du suprême brahman (aparokṣa paraṃbrahma).

 

[222] Aussi longtemps que le yogin méconnaît la cause de cette ignorance, aussi longuement devra se prolonger sa pratique du non-attachement.

 

[223] Il ne pourra se détacher qu'en s'exerçant à la rétraction des sens de leurs objets. Ainsi il mettra en sommeil sa dépendance à ces objets (des sens).

 

[224] Par la pratique constante de cet exercice, la lumière intérieure se manifeste d'elle-même (svaprakāśa). Ensuite, par l'écoute et la compréhension des paroles du guru, le temps vers la conquête s'abrège ! Une telle discipline apporte automatiquement la Connaissance (jñāna).

 

[225] Le discours n'envahit plus le mental, lequel cesse d'élaborer des concepts quand, grâce à cette ascèse, se manifeste la pure Connaissance.

 

[226] Le hatha yoga sans le raja yoga demeure inefficace, tout comme le raja sans le hatha. C'est pourquoi le yogin commencera d'abord par le hatha yoga en se conformant aux directives d'un guru compétent.

 

[227] Alors qu'il possède un corps et qu'il est encore vivant, l'homme qui ne profite pas des avantages du yoga, vit exclusivement sous la dépendance des sens et pour la jouissance (bhoga).

 

[228] Jusqu'à ce que la pratique devienne aisée et fluide, il sera nécessaire de manger en petite quantité ; sinon le yogin éprouvera des difficulés pour mener à bien l'exécution de sa discipline (sadhana).

 

[229-230] Dans les réunions, il sera discret en paroles ; il mangera juste assez pour se sustenter, restera avare de longs discours et se tiendra éloigné de la foule. S'il n'agit pas de la sorte, en vérité, il ne pourra pas espérer la libération des conditionnements (mukti).

 

[231-232] Entre les réunions avec d'autres gens, il devra pratiquer en privé. Bien sûr, il sera, tenu d'accomplir ses devoirs envers autrui, car chacun se doit d'assumer sa place (son karma) dans cette vie. L'accomplissement de ces devoirs n'entraîne aucune nuisance.

 

[233] Même un chef de famille peut atteindre le but si sa pratique est sérieuse et son mental déterminé.

 


 

[234-235] Le sādhaka qui rejette les plaisirs des sens se libère à la fois des vices etdes vertus, et ce renoncement en fait un marginal, même s'il conserve son statut de chef de famille. Un ermite adonné à la discipline du yoga n'est jamais souillé par les mérites ou les démérites. De même, un chef de famille ne commet aucune faute quand il vaque à ses obligations pour le bien d'autrui.

 

[236] Nous traiterons maintenant de la technique du mantra qui est un bon moyen pour obtenir l'éternelle félicité ici-bas comme après.

 

[237] S'il connaît cette technique du mantra, le yogin parviendra au but, car elle lui permettra d'acquérir tous les pouvoirs magiques et la félicité, à condition qu'il soit un expert (sādhaka).

 

[238-239-240] A l'intérieur du lotus de base mūlādhara se trouve la semence de la Parole (vak bīja) qui brille et jette des étincelles. Dans le cœur (anāhata) réside la bīja de l'amour (kāma bīja) qui irradie telle une fleur rouge de bandhūka. Dans le lotus ājña resplendit le bīja de la force (śakti bīja), illuminant comme dix millions de lunes. Ces trois bīja, que l'on doit garder secrets, déterminent aussi bien les causes de l'esclavage que celles de l'émancipation. Le yogin qui aspire à devenir un grand sādhaka se doit de maîtriser ces trois mantra (il s'agit de lam - yam et om).

 

[241] Quand le guru lui a donné les mantra, il les récitera avec soin, mot par mot, ni trop vite ni trop lentement, en réfléchissant sur leur signification et avec grande dévotion.

 

[242] Après une imprégnation mentale provoquée par cette pratique, le yogin priera devant la Déesse selon le rituel prescrit et fera l'oblation au feu (homa) cent mille fois, puis il répétera les mantra trois cent mille fois (lakṣa traya).

 

[243] Ensuite, il offrira au feu des fleurs fraîches de karavïra (nerium indicum.Mill), de la mélasse, du lait et du beurre fondu (ājya). Il déposera le tout dans le vase sacrificiel.

 

[244] Ainsi, tous les rites seront accomplis et la déesse Tripurabhairavī, désormais satisfaite, lui accordera tout ce qu'il demande.

 

[245] Ayant donc contenté son guru et obtenu de lui la quintessence des mantra, même un yogin peu chanceux parviendra au but.

 

[246] Le sādhaka qui, après un contrôle rigoureux de ses sens, psalmodie ces mantra cent mille fois, est très recherché par les jeunes filles en mal d'amour qui, avec audace et sans vergogne, se jettent à ses pieds !

 

[247] Si les mantra sont "rabâchés" deux cent mille fois, les déités familières, même si elles ne sont pas représentées sous forme d'icônes, lui apparaissent dans le lieu sanctifié où il pratique. A sa demande, elles se tiennent là, prêtes à lui accorder tout ce qu'il désire.

 

[248-249-250] Lorsque les mantra ont été répétés trois cent mille fois, tous les grands de ce monde et leur cour s'assemblent autour du yogin. S'il récite les mantra six cent mille fois, il est investi des pouvoirs d'un roi ou d'un empereur. S'il les récite un million deux cent mille fois, il étend son empire sur les trois mondes, sur les rois des êtres célestes yakṣa, sur les forces terrestres rāksaṣa et les êtres des mondes souterrains nāga ; tous se soumettent à lui et suivent toujours ses instructions.

 

[251-252-253] Quand il a terminé les un million cinq cent mille récitations des mantra, le yogin acquiert la domination sur les adeptes les plus éminents, sur les musiciens célestes gandharva et les danseuses divines apsarā. Il perçoit les sonorités subtiles et atteint l'omniscience. En ajoutant huit cent mille répétitions de ces mantra, il devient capable de s'élever avec son corps et de prendre une structure divine (divya deha) se mouvant à son aise dans l'univers, en observant les plus minuscules planètes qu'il survole.

 

[254-255-256] S'il répète les mantra deux millions huit cent mille fois, le yogin acquiert la force et la beauté du dieu de l'amour Kāma ; il devient expert en science divine. Quand il y ajoute trois millions de répétitions, il gagne le statut de Brahmā et Viṣnu ; avec six millions de plus, il obtient celui de Rudra-Śiva ; huit millions encore lui font atteindre le bonheur absolu et enfin, en ajoutant dix millions de répétitions, c'est l'état suprême ! En vérité, un tel yogin se rencontre très très'rarement dans les trois mondes.

 

[257]. Ô Tripura (Pārvatī), Śiva le destructeur des mondes est aussi la cause primordiale. Impérissable, à ses pieds on trouve la paix, la prospérité et le bien-être. Le yogin qui est en quête de Lui, obtiendra tous ces bienfaits.

 

[258] Ô Mahesvarī (la grande Pārvatī), connaître Śiva est la Connaissance suprême. Mais cela demeure un mystère. Celui qui sait et a lu les śāstra gardera secrète cette connaissance que je lui ai révélée.

 

[259] Le yogin qui souhaite parvenir à la perfection et obtenir les pouvoirs (siddhi) la tient jalousement cachée. Si elle était révélée à tout le monde, elle se dégraderait.

 

[260] Le yogin avisé qui consulte régulièrement les śāstra, du début à la fin, maîtrise ce yoga au bout du parcours. Sa pratique assidue le mènera à mokṣa.

 

[26l] Tous ceux qui aspirent à l'émancipation finale pourront réciter ces mantra. Mais, seuls ceux qui accompliront cette pratique avec persévérance parviendront au but ; les inconstants, non. Donc les yogin ont tout intérêt à effectuer cette ascèse consciencieusement, selon les règles que nous avons définies.

 

[262] Celui qui a réalisé tous ses actes d'une façon satisfaisante et a réussi à contrôler ses sens par le yoga, devient libre, sans attachement, même en gardant le statut de chef de famille.

 

[263] En effet, un chef de famille peut parvenir au but en répétant sans cesse le nom du seigneur ïsvara et en continuant la pratique du yoga. Il devra donc s'engager très sérieusement dans cette tâche.

 

[264] Le chef de famille, tout en restant présent dans son foyer avec sa femme et ses enfants, peut très bien se libérer de l'attachement et profiter, en secret, de la paix du yoga. En peu de temps, il reconnaîtra les signes prémonitoires du succès. Enfin, devenu maître en yoga, il vivra pour toujours dans la Joie.